Uber: retour sur la décision genevoise

Le Département en charge de l’économie et de l’emploi (DEE) du canton de Genève a rendu sa décision tant attendue le 18 novembre. L’arrêt du Tribunal fédéral (TF) du 30 mai constatait que les chauffeuses et chauffeurs d’Uber sont des salarié-e-s. La décision du DEE pose des éléments pour concrétiser ce statut. C’est une étape importante, presque dix ans après l’installation de la multinationale en Suisse.

Pour rappel, après l’arrêt du TF, le DEE avait rapidement autorisé Uber à poursuivre son activité contre l’engagement de régler les salaires et les frais dus pour le passé. Des négociations avaient été tentées en vain entre Uber, Unia et le syndicat SIT. La proposition d’Uber se limitait au versement d’un montant d’un peu moins de 5 millions de francs pour solder toutes les créances passées, en sus du paiement de la part salariale des cotisations sociales, estimée à 15,4 millions. Uber avait menacé les salarié-e-s de leur réclamer ce montant en cas de refus de sa proposition! Les salarié-e-s sont restés dignes: ils et elles ont résisté à ces pressions et refusé la proposition d’Uber, qui ne leur offrait que des miettes.

C’est une proposition quasi identique qu’Uber a ensuite formulée au DEE, le 18 novembre dernier. Le DEE a considéré celle-ci comme étant conforme au droit.

Cette décision du 18 novembre mérite analyse. D’une part, l’enveloppe proposée par Uber est largement insuffisante – ce d’autant plus que le montant de 4,6 millions est ventilé sur la période du 22 octobre 2019 (date de la première décision du DEE contre Uber) au 17 juin 2022, et non pas sur les cinq années précédentes (correspondant au délai de prescription). Cela a pour conséquence d’exclure près de la moitié des heures de travail concernées.

D’autre part, le DEE établit des bases de calcul en partie favorables aux employé-e-s. Premièrement, le DEE retient que le temps de travail correspond aux temps d’approche et de course, multipliés par deux: le temps d’attente est donc du temps de travail. Deuxièmement, le DEE estime les frais à 50% du revenu perçu d’Uber par les chauffeurs-euses, reconnaissant ainsi l’importance des frais qui pèsent sur ces salarié-e-s, contraint-e-s d’utiliser leurs propres véhicules ou d’en louer à grand prix, et de payer des frais de carburant et d’entretien massifs – vu les dizaines de milliers de kilomètres parcourus chaque année.

Le DEE prend par ailleurs acte du fait qu’Uber assumera l’intégralité des cotisations sociales (parts employeur et employé-e-s). La décision échoue toutefois à trouver une solution acceptable en ce qui concerne le montant du salaire: le DEE constate l’application du salaire minimum légal depuis novembre 2020, mais ne détermine aucun minimum salarial pour la période antérieure, ce qui est inacceptable.

Misérable quant aux montants prévus pour l’indemnisation des chauffeuses et chauffeurs, la décision du DEE pose toutefois des bases pour que ces employé-e-s – formellement employé-e-s par la société MITC Mobility, mais de fait loué-e-s à Uber – puissent être correctement rémunéré-e-s et indemnisé-e-s dans le futur.

Reste également à modifier le droit du travail pour empêcher dorénavant les plateformes numériques de surexploiter des travailleurs-euses.


par Christian Dandrès et Caroline Renold, avocat-es

Paru dans Services Publics n° 20, 16 décembre 2022