Quel a été le détonateur de votre pétition ?
Rodan Bury – J’ai travaillé durant deux ans et demi comme ergothérapeute au sein des soins à domicile vaudois, en campagne. Durant mes premiers mois de travail, je n’avais pas de permis de conduire. J’effectuais donc mes tournées à vélo. Mon employeur, l’association vaudoise de soins à domicile (AVASAD), m’a poussé à passer le permis et utiliser la voiture – ce que j’ai fait. Puis, peu à peu, j’ai recommencé à utiliser une bicyclette électrique. Cela n’a pas été facile: mon employeur argumentait que ce moyen de locomotion est plus lent, donc moins rentable.
Le contexte a changé avec la montée des mobilisations pour le climat, dès janvier 2019. À partir de ce moment, on ne m’a plus reproché d’utiliser le vélo. Cela démontre l’impact de ces manifestations, y compris sur les patrons !
La direction de l’AVASAD a même décidé de mettre sur pied un plan climat. Elle a créé, dans cet objectif, plusieurs groupes de travail. Le problème, c’est que ces groupes sont très hiérarchiques et n’abordent pas les questions centrales en matière d’impact carbone – transports, organisation du travail, outils informatiques, etc. Pour l’instant, leur seule action concrète a été d’envoyer un mail aux employé-e-s, en les incitant à adopter une conduite écologique en voiture, pour utiliser moins d’essence…
Or ce type de propositions fait reposer sur les salarié-e-s la responsabilité de la réduction de CO2. Pourtant, c’est l’employeur qui exige le permis de conduire et l’utilisation de la voiture. C’est aussi lui qui décide de l’organisation du travail.
Pour répondre à l’urgence climatique, il faut des mesures fortes. Si l’employeur n’en a pas la volonté, c’est à nous, salarié-e-s, de faire pression. C’est le sens de notre pétition.
Comment l’avez-vous lancée ?
Lorsque j’ai commencé à travailler à l’AVASAD, j’ai eu l’impression que le thème de l’environnement était tabou. La première étape a été de briser la glace, de discuter avec plusieurs collègues sur la question climatique. De fil en aiguille, je me suis rendu compte que nous étions un bon quart des employé-e-s à nous engager sur la question, d’une manière ou d’une autre. Ensuite, nous avons lancé et diffusé notre pétition au sein de plusieurs fondations de l’AVASAD. Elle peut être signée jusqu’au 28 février.
Quelles sont vos demandes ?
Notre texte souligne d’abord que les questions climatiques ont en effet un impact très important sur la santé des personnes. Il est donc fondamental que les institutions de santé prennent des mesures concrètes sur la question.
Nous demandons que l’AVASAD sensibilise toutes et tous ses employé-e-s à l’urgence climatique; qu’elle favorise la mobilité douce et mette en place des mesures permettant d’atteindre 50% de réduction de gaz à effet de serre d’ici 2025, la neutralité carbone d’ici 2030; et qu’elle engage un-e ingénieur-e en environnement afin qu’il/elle évalue l’empreinte écologique de l’entreprise et cible les mesures prioritaires dans ce but.
Quelle a la réaction des collègues ?
Les gens signent assez facilement. Assez régulièrement, cependant, nous sommes confronté-e-s à des collègues qui n’osent pas signer, de peur que cela leur porte préjudice. Nous leur expliquons que soutenir une pétition est un droit fondamental.
Nous expliquons aussi que de vraies mesures de protection du climat ne représenteraient pas un poids supplémentaire pour les salarié-e-s, mais pourraient au contraire leur simplifier la vie.
Dans les soins à domicile par exemple, une réduction des émissions de CO2 passe par l’utilisation de vélos et de scooters électriques avec un équipement adéquat. Cela implique aussi, en parallèle, des changements dans l’organisation du travail: avoir des équipes sur des rayons plus limités, donc plus proches des patient-e-s, favoriser le travail collectif, des espaces de pause communs aménagés de manière écologique, un rythme de travail moins stressant, etc. Autant de mesures favorables à l’environnement, aux salarié-e-s et aux patient-e-s !
Et au niveau de la direction ?
Le retour a été bien différent. Quand elle a appris le lancement de notre pétition, la cheffe des Ressources humaines m’a informé que ma participation au groupe de travail sur le climat était suspendue jusqu’à nouvel ordre. Dans une autre fondation, la direction a mis un ultimatum à un collègue, lui aussi syndiqué: s’il n’arrêtait pas de diffuser la pétition, il ne pourrait plus participer au groupe de travail.
Cela montre que notre employeur ne veut pas de changements ambitieux et qu’il a très peur que notre démarche prenne de l’ampleur.
Ces modifications doivent donc être imposées par la mobilisation des employé-e-s – et le soutien des syndicats. Si nous ne prenons pas l’initiative, nous raterons l’occasion d’imposer les mesures indispensables face à la catastrophe climatique.
Nous avons une vraie force. Pensons à l’impact qu’aurait une grève de la facturation dans les soins à domicile !
« Salarié-e-s et syndicats peuvent imposer des changements »
Une grève nationale pour le climat est agendée le 15 mai prochain. Comment les syndicats et leurs militant-e-s peuvent-ils y contribuer ?
Les étudiant-e-s qui manifestent pour le climat depuis un an jouent un rôle très important. Ils ont amené une prise de conscience fondamentale et changé profondément le débat politique.
Les étudiant-e-s ne peuvent cependant pas construire des mobilisations sur les lieux de travail, car ils n’y sont pas présent-e-s. Or les entreprises des secteurs privé et public sont des acteurs majeurs du réchauffement climatique.
En tant que salarié-e-s, nous seul-e-s pouvons mener la lutte pour le climat sur les lieux de travail.
Les syndicats, comme lieu de mise en contact, d’organisation et de mobilisation, ont un rôle important à jouer.
Ils peuvent d’abord informer les salarié-e-s sur leurs possibilités de participer à la grève du 15 mai. Puis mettre en œuvre le processus concret qui peut aboutir à un arrêt de travail: formuler des revendications à l’employeur, solliciter une réponse, saisir l’office de conciliation afin d’ouvrir le droit à la grève.
Un autre aspect est de soutenir les salarié-e-s qui veulent se mobiliser, mais sont confronté-e-s à une répression de la part de leur patron.
Durant tout ce processus, je pense qu’il est important que les syndicats informent sur la gravité de la situation écologique, mais aussi sur l’opportunités qu’elle recèle de changer nos manières de produire et de travailler – et les impacts positifs que cela peut avoir pour les salarié-e-s !