Dans le communiqué annonçant la publication de son rapport sur l’enquête européenne 2021 sur les conditions de travail (EWCS), le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) décrit l’état de santé des salarié·e·s en Suisse comme « bon en comparaison européenne ». À lire l’entier du document, on découvre un état des lieux beaucoup moins rassurant: pénibilité physique et psychique, forte intensité du travail, heures sup, mise en danger de la santé et de la sécurité ainsi qu’épuisement sont le lot quotidien d’une part impressionnante de salarié·e·s helvétiques. C’est cependant dans le secteur de la santé que la situation semble la plus alarmante.
Contraintes et risques élevés
Les métiers de la santé impliquent une fréquence de contraintes physiques supérieure à la moyenne, indique le rapport du Seco. 46,3% (soit légèrement plus que la moyenne de 45,3%) des travailleuses et travailleurs du secteur sont ainsi amenés à réaliser souvent ou toujours des mouvements répétitifs. 30,8% (largement au·dessus de la moyenne, 19,4%) adoptent souvent ou toujours des postures douloureuses ou fatigantes, tandis que 22,5% (contre 16,2%) portent de lourdes charges. Enfin, 37% des employé·e·s actifs·ves dans les soins soulèvent ou déplacent fréquemment ou constamment des personnes – soit quatre fois plus que la moyenne!
En matière d’exposition à des substances dangereuses, 30,5% (14,4% en moyenne) des travailleuses et travailleurs de la santé interrogés annoncent manipuler ou être en contact avec des produits ou des substances chimiques; ils et elles sont 51,3% (contre 13,9%) pour ce qui est des matériaux infectieux.
Autre caractéristique des métiers de la santé: la charge émotionnelle y est très élevée. 38 % des employé·e·s affirment avoir vécu des situations de stress émotionnel au travail – contre 14% en moyenne. Au niveau des horaires de travail, l’imprévisibilité est souvent au menu: 25% des salarié·e·s ont dû « se rendre au travail dans un délai très bref plusieurs fois par mois, plusieurs fois par semaine ou tous les jours ». À nouveau, on est nettement au-dessus de la moyenne (13%).
Plus d’un tiers (35%) des employé·e·s de la santé ont vécu une mise en danger de leur santé ou de leur sécurité au travail au cours des douze derniers mois précédant l’enquête; la moyenne helvétique est de 23%; dans le secteur « industrie et construction », elle se situe à 29%.
L’épuisement au coin du lit
Selon le Seco, les salarié·e·s peuvent mieux résister aux cadences élevées, aux horaires à rallonge ou à la pénibilité du travail s’ils ont certaines « ressources » à disposition: une marge de manœuvre dans l’organisation du travail, la possibilité d’adapter les horaires à ses besoins personnels ou encore des « récompenses externes » - un bon salaire, par exemple. Or tant la marge de manœuvre que la « flexibilité positive » sont des ressources moins fréquentes dans le secteur de la santé. Globalement, 42 % des salarié·e·s (contre 27% en moyenne) y estiment ne pas avoir bénéficié, en 2021, des ressources suffisantes pour faire face aux contraintes vécues dans le travail. À cette réalité s’ajoute une insatisfaction plus marquée par rapport au niveau des salaires: seules 55 % des personnes actives dans le secteur de la santé estimaient être correctement payées, souligne le rapport européen – contre 72% pour l’ensemble de la population active !
Ce cocktail associant pénibilité, risques et manque de ressources semble avoir un impact certain sur la santé des soignant·e·s. Près d’un quart (23%, contre 9% en moyenne) d’entre elles et eux se déclarent ainsi à la fois épuisé·e·s physiquement et émotionnellement à la fin d’une journée de travail.
Motifs de fuite ?
Les données fournies par l’EWCS jettent une lumière inquiétante sur la situation du personnel de santé. Ce n’est pas la première fois. L’enquête sur la population active la plus récente menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS), portant sur l’année 2020, indique que la branche Santé humaine et action sociale est, entre toutes, celle dont les salariées sont les plus exposées à la fois à des risques pour leur santé physique et pour leur santé mentale [1]. Cette triste réalité est antérieure à la pandémie de Covid-19, comme le soulignent les résultats de la dernière enquête sur la santé (2017) menée par l’OFS. Elle peut aider à comprendre l’hémorragie de personnel qui affecte le secteur de la santé.