« Il faut cibler la finance »

Interview de Guillaume Durin, du mouvement Rise up for change.

photo Eric Roset

Durant la première semaine d’août, le mouvement Rise up for change a bloqué les entrées de Credit Suisse et UBS à Zurich, puis réalisé une action symbolique devant la BNS. Pourquoi se focalise-t-il sur les banques ?

Guillaume Durin – Le volume d’émissions de gaz à effet de serre engendré par la place financière suisse est, au minimum, 20 fois supérieur à celui des émissions totales produites sur le territoire suisse. Les géants bancaires helvétiques ont donc un impact énorme sur le dérèglement climatique mondial. Pourtant, ils restent épargnés par les politiques censées lutter contre le réchauffement.

En pesant sur ce levier, la Suisse pourrait jouer un rôle moteur…
Une grande partie de la population helvétique est convaincue que, en raison de sa petite taille, la Suisse ne peut avoir aucun impact significatif sur le réchauffement global. Ce mythe est savamment entretenu par les milieux d’affaires, la majorité politique et le Conseil fédéral.

Pourtant, les acteurs principaux du dérèglement climatique se trouvent parmi nous. Il s’agit des banques et des instituts financiers – sans parler des multinationales du négoce – qui ont leur siège à Genève, à Zurich, etc. C’est ici, avec le soutien des autorités, qu’ils planifient et organisent leurs investissements dans les énergies fossiles !

En forçant sa place financière à changer de pratiques, la Suisse aurait donc un effet de levier incroyable pour agir concrètement contre le dérèglement climatique. N’oublions pas que, ces prochaines années, chaque demi-degré de réchauffement en plus ou en moins aura un impact important sur nos vies – ici en Suisse, et encore plus dans les pays les plus touchés, en Méditerranée et au Sud de la planète.

Pour cela, nous devons reprendre le contrôle démocratique sur la finance.

Par où commencer ?
Nos demandes sont simples. La première, c’est l’obligation de transparence. Les banques maintiennent en effet le plus grand flou sur leurs activités. Les investissements de la BNS, qui est pourtant une banque publique, se font de manière opaque, sans contrôle citoyen. Les seules informations dont nous disposons proviennent des gendarmes financiers aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Comment agir efficacement sans disposer des informations nécessaires ?

Ensuite, il faut exiger que les banques stoppent maintenant leurs investissements dans les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz. C’est réaliste: le coût d’une telle sortie serait supportable par ces banques, car elles pourraient compenser les titres des industries les plus polluantes par d’autres actifs.

Enfin, nous exigeons que les profits accumulés par la BNS – la banque dispose de réserves à hauteur de 800 milliards de francs – soient utilisés pour favoriser une transition sociale et écologique. Car ce ne sont bien sûr pas les classes populaires qui doivent payer pour l’indispensable transformation de notre société.

Contraindre la place financière ne fait pas partie des projets du Conseil fédéral…
La loi CO2 ne touchait pas la place financière. Et le Conseil fédéral continue à affirmer qu’il compte sur l’engagement volontaire des banques.

La majorité politique refuse donc de faire pression sur les banques, alors qu’elle dispose de toutes les informations sur la gravité de la catastrophe climatique en cours.

Il s’agit d’un dysfonctionnement démocratique majeur, conséquence de la collusion entre les milieux d’affaires et les politiques. Une collusion récemment illustrée par le soutien de la Suisse à la candidature de Philipp Hildebrand, ancien président de la BNS, actuel vice-président du fonds d’investissement Blackrock (un des principaux actionnaires des grandes banques et multinationales cotées à la bourse suisse), au poste de secrétaire général de l’Organisation de coopération et développement (OCDE).

Par quel levier agir, si ce n’est la politique institutionnelle ?
Nous ne pourrons reprendre le contrôle de la place financière qu’en nous organisant et en nous mobilisant, toujours plus nombreux-euses. Contrairement à ce qu’assènent les éditorialistes dominants, les gens veulent que cela change: selon un récent sondage de l’ONG Solidar, 71% des Suisses-esses veulent «contraindre les multinationales à faire plus pour le climat», et 53% sont favorables à «un contrôle plus strict des marchés financiers».

Dans cette optique, l’alliance entre mouvement pour le climat et syndicats peut jouer un rôle moteur. Nous devons multiplier les contacts, les rencontres et les soutiens entre nos luttes !

Les banques, au cœur du dérèglement climatique

Pourriez-vous nous donner quelques exemples de l’impact de la finance helvétique sur le climat ?
Prenons le cas d’Exxonmobil. De 1965 à 2017, cette société étatsunienne a été le quatrième plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde. Exxon est impliquée dans les formes les plus nocives d’exploitation des énergies fossiles: le fracking, les sables bitumineux, les forages en Arctique. Cette firme prévoit non seulement de continuer ces activités, mais de les intensifier dans les années à venir. En parallèle, elle finance aussi des lobbyistes dont le travail est de saboter les politiques de transition. Or UBS, Credit Suisse et la BNS continuent à investir massivement dans cette entreprise. Depuis septembre 2020, la BNS a même augmenté de plus d’un tiers ses investissements chez Exxon, à 900 millions de dollars !

La BNS a aussi récemment doublé ses parts dans la société Duke Energy, le plus grand exploitant de centrales électriques au charbon des Etats-Unis. Pourtant, le président de la BNS, Thomas Jordan avait juré l’an dernier que sa banque n’investirait plus dans des entreprises extrayant du charbon.

Credit Suisse est aussi l’un des principaux acteurs mondiaux du fracking, cette pratique hyper polluante visant à extraire du gaz du sous-sol.

UBS, Credit Suisse et la BNS financent aussi la société canadienne Enbridge, dont les 27 500 km de pipelines transportent, entre autres, du pétrole provenant des sables bitumineux d'Alberta – nettement plus polluant que le pétrole conventionnel.

On pourrait continuer la liste. Le constat est clair: les banques suisses se trouvent au centre du système qui détruit notre planète. Organisons-nous pour que cela change !

La fable de la « finance verte »

Les banques suisses répondent à vos critiques en affirmant que le processus de transition est en cours: elles limiteraient peu à peu leurs investissements dans les énergies fossiles…
C’est globalement faux. L’impact de la place financière sur le dérèglement climatique est en train d’augmenter, pas de se réduire. L’Office fédéral de l’environnement a d’ailleurs publié récemment un rapport qui affirme que la finance helvétique n’est absolument pas en train d’aller dans le bon sens.

Pour une raison simple. Aujourd’hui, les principales banques helvétiques continuent de financer des entreprises qui étendent l’exploitation des énergies fossiles dans le monde. Et cela, alors que même l’Agence internationale de l’énergie, habituellement modérée, affirme qu’il faut cesser dès aujourd’hui tous les investissements dans les énergies fossiles si nous voulons respecter les accords de Paris.

Dans le contexte actuel, la politique menée par ces banques est criminelle.

Qu’en est-il de l’essor des « placements durables », souvent souligné par les milieux financiers ?
Il s’agit d’une politique de marketing. Les banques affirment qu’elles investissent dans le « financement durable », mais sans préciser les critères de cette durabilité !

Or si on se penche sur le portfolio de ces « investissements verts », on trouve des actions Nestlé, Glencore, etc. C’est du greenwashing !

Dans la réalité, les établissements financiers maintiennent leur empreinte colossale. Pour une raison simple: leur ligne de conduite principale continue à être la réalisation d’un maximum de profits.


Interview de Guy Zurkinden, rédacteur du journal Services Publics