En défense de la santé publique

de: Services Publics

La récolte des signatures contre la révision de la LAMal, EFAS, bat son plein. Rencontre avec Bernard Borel, pédiatre de métier, qui nous livre son analyse des dangers représentés par cette révision.

Valdemar Verissimo

Bernard Borel, vous étiez pédiatre, ancien chef de service de l’hôpital d’Aigle et ancien député au Grand Conseil (POP), ancien président de Médecins du Monde Suisse, aujourd’hui conseiller communal à Aigle. Quelle est votre opinion sur la révision EFAS?

Bernard Borel – Même si les discussions sur ce sujet duraient depuis quatorze ans, j’ai été surpris par l’aspect finalement soudain de la décision du Parlement, avec si peu de discussions, alors que c’était un long serpent de mer. Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu se mettre d’accord sur un projet qui est au fond si contraire à l’intérêt du·de la citoyen·ne et de l’assuré·e. Cette révision est évidemment un immense risque pour les personnels soignants et il est logique que le SSP ait lancé le référendum. Les assuré·e·s sont également en grand danger avec EFAS.

Quels sont à vos yeux les dangers principaux d’EFAS?

Je vois deux dangers principaux. L’un est que la droite est en phase d’imposer totalement l’idée que l’angle d’attaque pour les questions de santé est celui des coûts, qui doivent être le plus bas possible sans se préoccuper de la qualité – au fond la qualité n’intéresse pas les assureurs du fait de leur vision étroitement économique. Les principes de qualité ou d’accessibilité aux soins de santé publique passent au second plan, ce qui n’est évidemment bon ni pour les assuré·e·s, ni pour les malades, ni pour les soignant·e·s. C’est d’ailleurs absolument contradictoire avec l’initiative pour les soins infirmiers votée il y a deux ans et qui découlait du rôle admirable des soignant·e·s pendant le covid.

Le prétexte est qu’on veut simplifier le système en décidant qu’il n’y aura qu’un seul payeur des prestations de santé. Hélas, on a donné cette responsabilité à des gens qui n’ont aucun souci de santé, mais uniquement celui de défendre leurs intérêts financiers purs. Ce sont les mêmes qui exercent leur métier dans la LAMal et dans les assurances complémentaires. Ilselles vont donc de plus en plus défendre des systèmes dits «économiques» dans la LAMal et proposer des assurances complémentaires profitables – pour eux·elles. L’autre danger est d’avoir mis les soins de longue durée dans EFAS, car cela fera augmenter fortement les primes. Pour contenir ce mouvement de hausse des primes, ils ont pensé à une autre manière de faire payer les assuré·e·s: par le biais d’une participation aux coûts de 23 francs par jour aux frais dans les EMS (et les femmes ayant accouché en ambulatoire y passeront aussi pour les soins en post-partum, comme la sage-femme à domicile). Or ce n’est pas une petite somme: les assuré·e·s verront donc leur participation aux frais exploser et beaucoup de gens ne vont pas pouvoir payer, ils·elles vont donc s’adresser aux prestations complémentaires. Donc finalement, c’est quand même l’État qui va payer à travers l’impôt – ce qui est quand même plus juste que la prime par tête –, mais il le fera à des conditions beaucoup plus strictes et sans avoir aucun pouvoir décisionnel. C’est cela qui est grave: devoir demander l’aumône à l’État alors que chacun·e devrait avoir accès à la santé dans notre pays.

Comment voyez-vous l’évolution récente du système de santé à travers notamment de la question du passage du stationnaire à l’ambulatoire qu’EFAS pourrait encourager?

Il est indéniable que l’ambulatoire est moins cher, mais le problème est qu’on ne tient plus compte de l’état de santé global des patient·e·s, mais seulement d’une indication. On prend toujours l’exemple de la hernie inguinale comme opération qu’on peut réaliser de manière ambulatoire (il y a une liste cantonale de 10-15 opérations qui doivent être faites en ambulatoire). Mais en réalité, on doit considérer tous les critères, dont l’âge. Si vous avez 35 ans, que vous vivez avec quelqu’un qui peut s’occuper de vous et êtes en bonne condition physique, vous pourrez facilement aller au contrôle à pied, etc. Mais si vous avez 80 ans, que vous habitez seul·e, que vous avez des escaliers à monter et qu’en plus vous êtes sous anticoagulants, il faudrait peut-être réfléchir autrement car des risques de complication sont bien réels – un ami vient d’en faire l’expérience. Le médecin qui souhaite opérer une telle personne en hôpital doit le justifier.

Et après, on va nous dire qu’on ne peut pas augmenter le personnel car les coûts vont augmenter et les gens n’en pourront plus de payer. Car il faut bien comprendre qu’avec ce système-là, l’État ne va plus prendre en charge ce qu’il prenait auparavant. Les cantons vont économiser un demi-milliard. Il faudra ainsi payer 23 francs par jour, plus la participation aux coûts de 700 francs, plus la franchise, plus les primes, on peut ainsi arriver à 20 000 francs par année pour les soins. M. et Mme Tout-le-Monde seront impactés, en particulier dans le 3e âge.

Alors quand on vous dira que si on ne contient pas les dépenses hospitalières, et bien la prime va augmenter de 10% à la place de 4%, qu’est-ce que vous allez dire? Je ne peux plus payer davantage comme assuré·e. On va donc mettre en opposition deux victimes du système, et la qualité des soins va baisser. En plus, il y aura davantage de niches pour des cliniques privées, qui choisissent leurs cas (rentables!) et ne prennent pas le «tout·venant» (et donc les cas les plus lourds et chers).

Quelles seront, selon vous, les conséquences d’EFAS sur la définition de la santé publique?

Je suis très inquiet, et cela, depuis plusieurs années. L’évolution conduit vers une dégradation des soins et une séparation entre les gens les plus riches qui arrivent à recevoir de bons soins et les autres qui vont avoir plus de peine et qui vont, de plus en plus, hésiter à se soigner et vont maintenant avoir peur de faire retomber un fardeau financier sur leurs enfants (vu le risque introduit avec la révision des prestations complémentaires qui implique que les descendant·e·s peuvent être amené·e·s à rembourser les PC touchées par leurs aîné·e·s).

Cette révision est grave pour la qualité des soins, grave pour les soignant·e·s, grave pour les citoyen·ne·s qui vont être victimes d’augmentations des primes à volonté et sans contrôle démocratique face aux assureurs qui auront le pouvoir. Les assureurs auront le pouvoir de dire «si vous ne voulez pas que votre assurance augmente, vous pouvez prendre une complémentaire ou un mode d’assurance particulier». Là derrière, il est certain que les assureurs reviendront à la charge sur la liberté de contracter par le biais des réseaux de soins (managed care). Et si votre médecin traitant sort du réseau, vous devrez changer, ou alors on vous proposera un modèle de complémentaire.

La droite et les assureurs ont gagné un combat majeur avec EFAS. Les cantons ont été en quelque sorte achetés puisque EFAS leur permet d’économiser un demi-milliard pour ceux qui finançaient partiellement les soins de longue durée. Mais il y a une telle perte de pouvoir sur le financement et donc le pilotage des services de santé pour les pouvoirs publics! On admet que les caisses-maladie sont les mieux placées pour gérer le financement des prestations, alors qu’on sait qu’elles ont des intérêts divergents de ceux des assuré·e·s.

Il faut donc s’opposer à EFAS et appeler de ses vœux le lancement d’une initiative de caisse unique publique, qui résoudrait de manière plus sociale la question du financement des soins.


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