Chaud novembre sur les chantiers

de: Interview de Guy Zurkinden

Dans toute la Suisse, les maçons s’apprêtent à mener une vague de grèves. Les explications d’Alex Martins, responsable du secteur bâtiment chez Unia dans le canton de Neuchâtel.

photo Eric Roset

Pourquoi les maçonsse mobilisent-ils ?

Alex Martins – Nous sommes en pleine renégociation de la Convention nationale pour le secteur principal de la construction en Suisse (CN), qui arrive à échéance à la fin de cette année. Dans ce cadre, l’association faîtière des employeurs de la construction, la Société suisse des entrepreneurs (SSE), veut imposer un retour en arrière de 50 ans en matière de temps de travail. En parallèle, elle refuse d’entrer en matière sur nos revendications salariales si ses exigences ne sont pas acceptées. Quant au nécessaire renforcement de la protection de la santé des maçons, il se heurte à un rejet patronal.

Face à ce blocage, des assemblées de travailleurs ont été organisées dans toute la Suisse. Elles ont voté en faveur de journées de lutte. Le premier mouvement de grève a eu lieu au Tessin, où 2500 maçons ont fait grève et manifesté le 17 octobre. Les 7 et 8 novembre, ce sera au tour de la Suisse romande. En Suisse alémanique, une première grève a eu lieu le 1er novembre. Elle sera suivie d’une seconde le 11, avec une grande manifestation à Zurich.

Que demandent précisément les employeurs ?
Il y a quatre ans, en 2018, la SSE avait déjà revendiqué plus de flexibilité et s’était attaquée à la retraite à 60 ans. Les maçons avaient vécu cela comme une atteinte à leur dignité et s’étaient mobilisés massivement – obtenant gain de cause.

Aujourd’hui, les employeurs se centrent sur le temps de travail. Leur objectif est de supprimer l’actuel calendrier de travail, qui prévoit déjà une flexibilité importante – les journées de travail peuvent varier entre 7h30 en hiver et 9 h en été, avec un total annuel fixé à 2112 heures, plus la possibilité de faire 100 heures supplémentaires par an, à compenser en temps libre. Cette flexibilité est détestée par les maçons: elle a pour conséquence qu’ils bossent comme des fous en été (jusqu’à 12 heures par jour en comptant les déplacements), mais peuvent être renvoyés à la maison en hiver.

Or la SSE veut aller beaucoup plus loin. Elle veut imposer des semaines de travail variant entre 0 et 48 h, plus 10 h de déplacement. Cela fait 58 heures hebdomadaires ! L’objectif des entreprises est de pouvoir imposer des journées à rallonge lors de la belle saison, d’avril à octobre. Au moment où les canicules se multiplient, cette demande est irresponsable. Il faut au contraire baisser la durée du travail pour protéger la santé des maçons !

La SSE a lancé aussi une attaque contre les travailleurs âgés, que les employeurs aimeraient pouvoir licencier plus facilement, ou payer moins. Une exigence qui révèle un mépris total des salariés!

Qu’en est-il des revendications syndicales ?
Depuis la dernière mobilisation des maçons, en 2018, nous avons mené un gros travail de terrain. Objectif: déterminer les besoins des ouvriers du bâtiment. Nous en avons tiré un cahier de revendications que nous voulons intégrer à la nouvelle CN. Nos principales demandes sont: une protection renforcée en cas d’intempéries et de canicules; la fin de la pratique du « vol des heures »: aujourd’hui, lorsque les maçons se déplacent entre le dépôt et leur lieu de travail, dans le véhicule de l’entreprise, les 30 premières minutes de trajet ne sont pas payées. Enfin, nous voulons une augmentation des salaires de 4,5% (3,5% pour compenser l’inflation, + 1% d’augmentation). Nous avons déposé ce cahier des revendications en février dernier, mais nous heurtons au refus des patrons.

Quel est l’état d’esprit sur le terrain ?
Les 58 heures hebdomadaires exigées par la SSE ont mis le feu aux poudres. À Neuchâtel, 97% des travailleurs que nous avons consultés sont disposés à faire grève. Depuis octobre, nous arpentons les chantiers afin de préparer les journées de mobilisation. Nous sentons une vraie disponibilité à la lutte. Il semble qu’en Suisse alémanique la sauce prend aussi. Il y a bien sûr aussi une certaine peur chez les ouvriers, car les patrons mettent la pression.

Comment réagissent lespatrons?
La SSE affirme que la grève est « illégale ». Elle a même déposé plainte contre la section genevoise d’Unia pour « violation de la paix du travail », après que les ouvriers avaient voté en faveur de la grève. Cette plainte a heureusement été déclarée irrecevable par la Chambre des relations collectives de travail du canton de Genève.

Dans les entreprises, les patrons font aussi pression sur leurs salariés pour les dissuader d’arrêter le travail.

Il y a cependant un élément qui joue en notre faveur: la branche de la construction connaît une pénurie de travailleurs qualifiés. La main-d’œuvre vieillit, et il y a un problème de relève. Pour rendre cette profession plus attractive, il est donc indispensable d’améliorer les conditions de travail et de salaire. Le prochain round de négociations sur la CN aura lieu le 14 novembre. D’ici là, il est déterminant que nous réussissions nos mobilisations, afin de peser sur ces discussions.

« Les maçons subissent un stress accru »

La Convention nationale des maçons a valeur de symbole en Suisse…
Le secteur de la construction a une longue tradition de lutte. Il dispose aussi d’une Convention nationale (CN) très complète réglant les conditions de travail et de salaires de 80 000 ouvriers du bâtiment, dans toute la Suisse. Cette CN a aussi une haute valeur symbolique. Il s’agit d’un des contrats collectifs les plus avancés du pays, qui sert de point de référence pour d’autres corps de métier. La convention contient notamment une conquête sociale majeure, dont nous fêterons les 20 ans l’année prochaine: la retraite à 60 ans, arrachée après une grève massive menée en novembre 2002. La retraite anticipée a représenté cependant la dernière amélioration notable dans le secteur. Depuis, on assiste à un durcissement des conditions de travail et à des attaques incessantes de la part des employeurs.

En quoi consiste ce durcissement ?
Les ouvriers subissent un stress accru en raison de délais de construction toujours plus brefs – et d’une pression accrue sur les coûts. On leur demande toujours plus de flexibilité. « On fait le même boulot avec moitié moins de temps et moitié moins de collègues »,nous disent les travailleurs. Cette augmentation de la productivité se fait au détriment de leur santé.

En parallèle, le recours généralisé à la sous-traitance et l’explosion du travail temporaire ont contribué à défaire les collectifs de travail. Sur certains chantiers, on trouve aujourd’hui 20 travailleurs avec 20 statuts différents. Cela amène une précarisation et rend plus difficile la lutte collective.