Au défi de l’arc-en-ciel

de: Guy Zurkinden

Depuis janvier 2018, la loi helvétique permet qu’un enfant ait deux parents légaux du même sexe. Comment œuvrer à un service public inclusif et respectueux de ces familles encore mal connues?

photo Eric Roset

Le 9 mai dernier, une demi-journée de réflexion a réuni une centaine de professionnel-le-s vaudois-e-s de la périnatalité, de l’accueil pré, para et extra-scolaire, de l’école ainsi que de l’éducation sexuelle pour les sensibiliser à l’accueil inclusif des familles arc-en-ciel. Questions à Catherine Fussinger, coprésidente de l’Association Familles arc-en-ciel, à l’origine de cette initiative réalisée en collaboration avec des partenaires du public et du parapublic.

Pourquoi une telle initiative ?
Catherine Fussinger
– Des cas de discriminations tel celui évoqué récemment dans les médias – un couple de pères gay dont les jumeaux se sont vu refuser vu l’accès à une garderie privée du canton d’Argovie invoquant explicitement l’orientation sexuelle des parents – demeurent rares, heureusement.

Toutefois, à toutes les étapes de leur trajectoire parentale, les familles arc-en-ciel sont confrontées à des professionnel-le-s qui semblent découvrir leur existence. Souvent déstabilisé-e-s, ces professionnel-le-s peuvent alors se montrer inadéquat-e-s, voire avoir des paroles ou des attitudes blessantes.

Aujourd’hui encore, les questions LGBT ne sont pas incluses dans les formations, initiales ou continues. Les représentant-e-s de la fonction publique risquent ainsi de laisser leurs pratiques s’organiser à partir de leurs valeurs personnelles. Cela peut laisser la place à de belles choses, mais ouvre aussi la porte à tous les dérapages.

Un travail de sensibilisation s’avère donc indispensable. De plus, il est essentiel de recourir au collectif si on veut éviter à chaque famille de devoir assurer le poids de la formation continue des différent-e-s professionnel-le-s rencontré-e-s. Du côté de ces dernières/-ers, une telle sensibilisation leur permet d’interagir d’emblée avec les familles arc-en-ciel en restant dans une zone de confort. Tout le monde y gagne…

Quels sont les retours des familles ?
Dans l’ensemble, elles se sentent plutôt bien accueillies. Néanmoins, devoir à chaque fois s’expliquer, se justifier, constitue une charge pour les parents comme pour les enfants des familles arc-en-ciel. Et, outre un certain nombre d’expériences problématiques, le fait de ne jamais savoir à quoi s’attendre est une source de stress.

Quelles mesures favorisent un accueil inclusif ?
Pour les familles arc-en-ciel, l’enjeu principal est d’être reconnues telles qu’elles sont et comme des familles de plein droit.

Les familles arc-en-ciel souhaitent simplement faire « partie du tableau », cesser d’être invisibilisées, niées, sans pour autant se trouver en permanence sous « les feux de la rampe ».

Pour les professionnel-le-s qui travaillent avec des enfants en collectivité – garderies, écoles – la crainte des réactions des parents des autres enfants peut les conduire à ne « pas trop en faire ». Or, tout ce qu’ils et elles ne font pas se voit reporté sur l’enfant qui, du coup, se trouve seul devant les questions et propos plus ou moins pénibles de ses camarades. Assurer un accueil inclusif implique une posture active des adultes référent-e-s.

Quels sont les outils à disposition pour favoriser un accueil inclusif ?
Réalisée à l’attention des professionnel-le-s, la brochure d’information « Familles arc-en-ciel » constitue une bonne entrée en matière, (disponible sur notre site www.regenbogenfamilien.ch/fr/medien/publikationen ou à commander gratuitement ). On y trouve notamment des pistes d’action concrètes très adaptées pour les enseignant-e-s.

Pour aller plus loin, notre association propose aussi une mallette pédagogique pour les enseignant-e-s du cycle primaire I et II.

La demi-journée de sensibilisation du 9 mai a permis à des professionnel-le-s de réfléchir à leurs pratiques à partir de récits émanant des familles arc-en-ciel et, sur cette base, de proposer des mesures favorisant un accueil inclusif. Toutes les discussions ont été filmées et seront bientôt disponibles en ligne.

Enfin, il ne faut pas oublier que des parents de familles arc-en-ciel travaillent dans les services publics ! La brochure sur la diversité au travail édité par la Fédération genevoise des associations LGBT traite explicitement des familles arc-en-ciel (https://federationlgbt-geneve.ch/2019/11/07/nouvelle-version-de-notre-guide-travailler-la-diversite/). Elle constitue une précieuse ressource !

On doit aussi saluer la décision des RH du canton de Genève d’accorder à un couple de pères l’équivalent d’un congé adoption de cinq mois, pour que le père enseignant puisse s’occuper de leurs deux jumeaux – une décision de principe qui assure aux autres couples de pères de la fonction publique genevoise un traitement identique à l’avenir.

Malheureusement, de telles dispositions sont inexistantes pour l’heure dans d’autres cantons romands.

D'énormes lacunes à combler

Le terme de « familles arc-en-ciel » désigne les familles dont au moins l’un des parents se considère comme lesbienne, gay, bisexuel-le, trans* ou queer.
Selon certaines estimations, jusqu’à 30 000 enfants grandiraient dans de tels foyers en Suisse. En ce qui concerne le développement des enfants des familles arc-en-ciel, les recherches internationales montrent qu’ils vont bien – l’élément déterminant étant la qualité du lien à l’enfant, et non la configuration familiale.

En comparaison européenne, la Suisse figure parmi les cancres en matière de droits pour les couples de même sexe.

Depuis janvier 2018, suite à la révision du droit de l’adoption, un enfant peut avoir deux parents légaux de même sexe suite à une procédure d’adoption intrafamiliale, un dispositif jusqu’alors réservé aux seuls couples hétérosexuels mariés. Dès le moment où l’adoption devient effective, les deux parents de même sexe ont les mêmes droits et devoirs envers ses enfants qu’un couple père/mère.

Dans le cadre du projet de loi sur le mariage civil pour toutes et tous, en discussion au Parlement, les familles arc-en-ciel revendiquent un droit complet à la parentalité. Cela implique l’accès à l’adoption extra-familiale, interdite aujourd’hui aux couples de même sexe, et, pour les couples de femmes, la possibilité de recourir en Suisse au don de sperme, accompagnée du droit à la double filiation avec les deux mamans dès la naissance.

Au quotidien

Quatre exemples pour illustrer le vécu des familles arc-en-ciel.

À la maternité
Un couple de femmes vient d’avoir un enfant. La maman a des difficultés lors de la mise en route de l’allaitement. Quand la jeune soignante qui s’occupe d’elle comprend qu’elle est en couple avec une femme, elle fait comme si sa compagne n’existait pas et ne touche plus sa poitrine. Lors de son retour à domicile, la maman est proche de la mastite. Pour le couple, l’homophobie de la soignante a clairement eu pour conséquence une mauvaise prise en charge.

Chez la pédiatre
Avant la naissance de leur enfant, conçu dans le cadre d’une gestation pour autrui à l’étranger, un couple de pères prend contact avec un cabinet de pédiatres. Bien que la pédiatre qui les reçoit n’ait aucune expérience préalable avec une famille arc-en-ciel, ils se sentent reçus comme n’importe quels futurs parents et, en même temps, la pédiatre sait s’adapter à leur situation. Elle les conseille et les soutient notamment dans la préparation du long voyage à faire en voiture avec leur nouveau-né pour revenir en Suisse.

A l’école en 3P
Lors de la soirée des parents en 3P, un couple de pères découvre le dessin réalisé par leur fille de 6 ans. Celle-ci s’est représentée en compagnie de ses deux papas et de leur chien. En tête de la page, leur fille a recopié l’intitulé figurant sur le tableau noir: « Pour maman et papa ». Deux semaines plus tôt, les deux pères avaient rencontré l’enseignante pour lui faire part de leur situation familiale… L’incapacité de l’enseignante de tenir compte de cette information a suscité incompréhension, tristesse et colère au sein de cette famille.

A l’école en 6P
En signant un travail écrit d’allemand de leur fils, deux mères découvrent que la stagiaire a décidé d’inclure un exercice mettant en scène une famille arc-en-ciel: un petit texte présente Julia, qui vit avec ses deux papas et son frère, et parle plusieurs langues. Dans les questions se rapportant au texte, l’une demande s’il est vrai ou faux que Julia a un papa et une maman. Dans ce cas, l’enseignante en formation a choisi d’intégrer les familles arc-en-ciel dans un exercice ordinaire, tout en prenant soin de l’adapter suffisamment pour que l’élève concerné ne se sente pas mis sous les feux de la rampe… Beau travail !