Les raisons de la mobilisation d’octobre 2020

Les personnels de santé dénoncent le manque de reconnaissance et réclament de meilleures conditions de travail. Immédiatement.

Depuis le début de la crise COVID, les personnels du secteur de la santé subissent une forte pression sur les plans physique et psychique et sont régulièrement exposés à un risque important. Durant les premiers mois, ces travailleuses et travailleurs ont été confrontés à un virus nouveau dont les conséquences sont encore incertaines; des plannings qui changent chaque jour ; des semaines interminables ; des heures supplémentaires sans limite ; un matériel de protection insuffisant et l’angoisse de contaminer les proches. En plus, les personnels hospitaliers ont été privés des protections de la Loi sur le travail.

1 - Une juste récompense et davantage de considération

Ces sacrifices ont été appréciés et acclamés par la population. Pourtant la reconnaissance pour le travail accompli ne doit pas s’arrêter aux applaudissements et aux déclarations bienveillantes des autorités politiques. Nous attendons maintenant que l’on prenne des mesures concrètes pour améliorer les conditions de travail et pour lutter contre la pénurie de personnel. Mais à ce jour, toutes les revendications pour une prime de risques spéciale en lien avec l’immense disponibilité et flexibilité du personnel de santé ont été refusées ou mises au placard. Tandis que les demandes de revalorisation des métiers du secteur des soins sont balayées les unes après les autres. Lukas Engelberger, président de la Conférence des directeurs cantonaux de la santé, signalait déjà publiquement que le personnel de santé ne doit pas se faire d’illusions: il n’y aura pas de revalorisation des salaires généralisée. Cette attitude est une gifle retentissante pour celles et ceux qui ont sauvé des vies, accompagné la souffrance et effectué leur travail sans disposer de matériel de protection adéquat.

Mi-août 2020, Alain Berset, ministre de la santé, a mis en consultation un paquet d’économies équivalent un milliard de francs. Au cœur d’une pandémie hors normes, qui a révélé l’absence de coordination entre institutions sanitaires, les pénuries de matériel, de médicaments et de personnels, le secteur santé continue d’être réduit à un simple facteur de coûts. Inacceptable.

2 - Mobilisation pour des services publics forts

La crise sanitaire a montré avec acuité que les services publics sont indispensables et que la logique marchande n’est pas efficace. Le scandale du manque de matériel de protection, scandale qui n’a même pas été analysé, et le manque de coordination et de coopération entre les établissements de santé en sont des exemples frappants. Alors que des soignant-e-s qualifié-e-s étaient au chômage technique, notamment dans des cliniques privées, des membres de la protection civile – non qualifiés – prenaient en charge des résident-e-s dans les EMS. Pour continuer de faire face à cette pandémie et aux futures crises sanitaires, nous devons pouvoir compter sur des services publics forts !

3 - Revendications pour des services publics forts

  • Prime Corona, sous forme d’un salaire mensuel supplémentaire
  • Davantage de droits sur le lieu de travail – un droit de participation plus étendu et une meilleure protection
  • Meilleures conditions de travail – contre le minutage des soins et pour l’application de la Loi sur le travail

Jusqu’à présent, les revendications formulées dans les cantons n’ont pas abouti. Pour ce motif, une action conjointe des organisations du personnel les plus importantes du secteur de la santé sur le plan national et régional sont absolument nécessaires.

4 - Zéro prime : une exception suisse

A noter que la Suisse fait figure d’exception : en France, Italie, Espagne, Québec, Royaume Uni, etc., des primes ou bonus extraordinaires ont été accordés aux personnels de la santé actifs pendant la première vague. Partout, l’exposition physique et psychique du personnel sanitaire a été considérée comme suffisamment extrême et dangereuse pour mériter une compensation. Les revendications syndicales au niveau international vont évidemment au-delà : désormais, pour protéger et soigner la population, la priorité doit aller au service public et à son personnel. Les privatisations, la mise en concurrence, la marchandisation du domaine de la santé ont conduit à une situation explosive dans la plupart des pays. Il a fallu surcharger et surmener une large partie des personnels pour éviter que ce désordre sanitaire ne provoque davantage de victimes.

En Suisse, si une partie de la grande distribution, les CFF, la Poste, entre autres ont, distribué une prime aux personnels en « première ligne », les employeurs et les autorités cantonales de la santé sont globalement restés sourds aux revendications du personnel. A ce jour, seule une poignée d’EMS, le gouvernement fribourgeois, une ou deux institutions sociales font exception dans ce paysage austère. En réalité, c’est un peu l’inverse qui se produit, en particulier dans les hôpitaux : des directeurs financiers ont déjà annoncé des déficits importants pour 2020, en lien avec la pandémie et, forcément, menacent de nouveaux programmes d’économies sur le dos du personnel.

5 - Des résident-e-s d’EMS en première ligne avec le personnel

Pourtant, chez nous, les constats sont aussi alarmants, lorsqu’ils sont faits. Ainsi, des médecins ont lancé un appel aux autorités sanitaires pour signaler des « problèmes structurels » dans le secteur des soins de longue durée. Alarmés par le nombre de décès et les conditions de vie dégradées des résident-e-s d’EMS, ces médecins s’inquiètent notamment de la qualité des soins. Ils et elles proposent des pistes pour que les résident-e-s dans les EMS bénéficient d’un « environnement sécurisé et humain, afin que même dans une situation de pandémie, les vies à protéger soient vécues par les personnes concernées comme valant la peine d’être vécues. » Comme notre syndicat, ces médecins signalent notamment, « la pénurie (chronique) de personnel avec des postes en sous-effectif et la pénurie de matériel de protection (1)».

6 - La pénurie de personnels

Nous nous dirigeons directement vers une crise des soins infirmiers. L’espérance de vie augmente et, avec elle le besoin de soins. Certaines études estiment que la proportion de personnes atteintes de maladies chroniques va augmenter considérablement. 65 000 infirmières et infirmiers supplémentaires seraient nécessaires d'ici 2030. Mais depuis des années, en Suisse, moins de la moitié de la demande annuelle de personnel infirmier est formée, tandis que, chaque année un nombre considérable de personnel qualifié quitte la profession. L'initiative sur les soins infirmiers de l’ASI veut contrecarrer la pénurie. Nos collègues de l’ASI exigent une offensive dans le secteur de la formation pour augmenter rapidement le nombre de personnes entrant dans la profession.

Nous partageons cette revendication qui doit être étendue à l’ensemble des personnels du domaine de la santé : les soins fiables et sûrs dépendent directement des dotations disponibles et de la formation de tous les personnels. Et pour que les personnes formées restent dans ce secteur, les conditions de travail doivent être améliorées.

7 - Les femmes en première ligne

La pandémie a mis en lumière le fait que les femmes constituent une grande partie des personnels en première ligne, en particulier dans le secteur santé. Dans nos sociétés depuis des siècles, le travail pour prendre soin des autres a été assigné aux femmes. Dans le cercle familial, elles continuent d’effectuer ces tâches gratuitement, souvent en étant aussi actives professionnellement. Lorsque le travail des soins s’est professionnalisé avec l’apparition des hospices, des hôpitaux et autres institutions, les femmes ont continué d’être les principales pourvoyeuses de soins, mais elles ont dû se battre pour se faire reconnaitre en tant que professionnelles. Aujourd’hui, le personnel soignant est toujours constitué à trois quarts ou plus par des femmes, selon les métiers. Or, comme l’a dénoncé la Grève féministe le 14 juin 2019, les inégalités de salaires entre hommes et femmes restent énormes : il existe une discrimination purement liée au sexe, mais il existe aussi une discrimination des métiers majoritairement et historiquement féminins, qui sont systématiquement moins bien rémunérés que les métiers masculins. Les bas salaires dans le secteur de la santé, le manque de moyens criant dans des secteurs comme les EMS, le refus de verser une prime aux personnels de santé, sont aussi une conséquence de cette inégalité.

8 - Manque de financement des hôpitaux publics

La faitière des hôpitaux et cliniques suisses, H+, a interpelé le Conseil fédéral pour obtenir un financement leur permettant de pallier le manque de revenus dû à la fermeture des services non urgents pendant plus de 2 mois. Le Conseil fédéral a clairement rappelé que la Confédération n’envisageait pas de participer aux pertes de revenus des hôpitaux et des cliniques. Rappelons que les hôpitaux publics risquent d’être les principaux perdants : ils n’ont même pas obtenu un financement par le biais de indemnités de chômage pour réduction de l’horaire de travail. Quelques cliniques privées en revanche ont pu diminuer leurs charges salariales par ce biais. Les syndicats critiquent, depuis son introduction, le système de financement hospitalier imposé par la LAMal. Ce système contribue à privatiser le système de santé hospitalier et à fermer des hôpitaux publics, tout en dégradant les conditions de travail. La pandémie que nous traversons risque d’accélérer ce processus : une incohérence grave.

Les organisations syndicales réclament depuis des années un changement de paradigme : les hôpitaux publics doivent être financés en fonction des besoins de la population. La rentabilité ne doit pas être un critère de financement. Il est important de signaler à la population que depuis que ce système a été introduit, les primes d’assurance ont continué d’augmenter, alors que les conditions de travail sont dégradées.

9 - Notre Santé, leurs droits : une campagne d’Amnesty international

Amnesty International a aussi observé les conditions de travail du personnel de santé dans le monde entier et s’en est alarmé. Un rapport d’Amnesty relève qu’au moins 3000 professionnel·le·s de la santé ont payé de leur vie leurs efforts contre la pandémie à travers le monde.

En Suisse aussi, Amnesty International lance un appel en guise de soutien avec une préoccupation émanant de la société civile : la santé de l’ensemble de la population dépend du respect des droits du personnel. Dans une lettre ouverte, Amnesty International demande au Conseil fédéral de commanditer une étude indépendante sur l'impact de la pandémie sur le personnel de santé (2).

Ensemble, toutes les organisations qui ont rejoint l’alliance s’engagent pour celles et ceux qui font le service public.


(1) https://bullmed.ch/article/doi/bms.2020.19037
(2) Appel à signer : https://www.amnesty.ch/fr/themes/coronavirus/droit-a-la-sante/docs/2020/manifeste/agir-en-ligne