La conciliation études-famille, une question féministe

de: Joséphine, éducatrice et membre de la section étudiante du SSP

Le 24 mai dernier, des mères étudiantes se sont rencontrées pour évoquer leurs difficultés. Elles envisagent de demander l’ouverture d’un dialogue avec l’Université de Lausanne (Unil) concernant la conciliation études/famille et la reconnaissance de leurs besoins. Éclairage.

Illustration Sophie Gagnebin

« C'est dur, je manque pleins de moments de vie de mon fils. Je ne suis pas là le week-end, ni le matin quand il se lève. Mais je lui répète que je fais ça pour nous, pour qu’on ait une meilleure vie les deux ».

M., étudiante et mère de famille.

La réflexion des mères étudiants de l’Unil est le fruit de plusieurs semaines de discussions menées avec des parents-étudiant-e-s, de récolte de témoignages et de dialogue avec des acteurs-trices défendant le droit des personnes en formation. Elle soulève des questions de fond.

Une rhétorique néfaste
Elle en effet est là, sous-jacente aux réponses apportées par l'institution lorsqu’on évoque la conciliation entre la charge familiale et les études: la question du « choix » d’être mère. Cette rhétorique néolibérale brûle les oreilles de ces femmes qui ont décidé de (re)commencer un cursus universitaire. Dans une société où les femmes auraient le choix d’avancer sur de multiples chemins, pour quelles raisons avoir des enfants empêcherait-il de poursuivre des études? Pourquoi ces étudiantes mères rencontrent-elles si peu d'écoute de la part de l’institution, et autant de difficultés? En guise de réponse, on leur rétorque le « choix » de la maternité et son incompatibilité avec le travail universitaire.

Sous cette notion de « choix », on trouve également l’idée de « servitude volontaire de la maternité », car les femmes sont sur tous les fronts pour concilier leur vie conjugale, familiale, sociale et professionnelle. Certes, grâce à la Loi sur l’égalité, l'Etat a développé ses politiques, du moins sa vigilance, en matière de de conciliation famille-travail. Toutefois, l’idée du « choix » de la maternité continue d'empêcher l’extension de cette réflexion au champ de la formation.

Il s’agit d’une question fondamentalement féministe: réussir à faire reconnaître les conditions des femmes et leurs expériences, les injonctions, les contraintes socio-économiques et les discriminations qui pèsent sur elles. Le choix d’avoir des enfants n'est pas une marotte, tout comme celui de faire des études. La contradiction est totale entre un Etat libéral qui prétend encourager l’adaptation des compétences des travailleuses aux transformations économiques de la société (la « formation tout au long de la vie »), mais qui permet aux institutions de fermer les yeux sur les conditions d’études parfois herculéennes de ces femmes. Et ces dernières en ont assez d’être renvoyées à leurs responsabilités individuelles de réussir à tout concilier.

De lourdes contraintes
Ce sont également des contraintes invisibles qui alourdissent le quotidien de ces étudiantes: ce qu’on appelle la «charge mentale». Les études sont source de stress et d'épuisement, car elles nécessitent une logistique complexe (cours du soir, horaire découpé, révision pendant les fêtes de fin d’années, travail de groupe), couplée à une pression à la réussite universitaire. Le tout saupoudré d’inquiétudes financières – nombre de ces étudiantes se trouvent sans ressources, car placées en zone grise par le système de bourses. Ces pressions seront plus fortes encore pour les familles monoparentales, en raison des coûts d’opportunités élevés que représente la poursuite des études. Pourtant, les étudiantes enceintes ou/et déjà mères sont également, voire plus fréquemment, victimes de la fameuse «double journée de travail» - notamment pour celles qui ne peuvent pas externaliser les tâches éducatives et domestiques, faute de moyens financiers. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), les étudiant·e·s assumant une charge familiale travaillent en moyenne 65 heures par semaine, soit 15 heures de plus que les étudiant·e·s sans charge familiale, en cumulant activités rémunérées et travail domestique[1]. Rappelons que ce dernier est souvent pris en charge par les grand-mères, largement sollicitées pour combler les lacunes en matière de politique familiale.

Il faut aussi souligner l’injonction à être une bonne mère, présente et disponible pour son enfant, qui pèse sur ces femmes.

À l’université, nous sommes encore trop proches de cette conception de l’étudiant qui aurait un temps extensible pour répondre aux exigences parfois très compétitives des études supérieures. Une conception qui reste aveugle aux inégalités de ressources temporelles et financières qui pèsent sur étudiant·e·s les plus précaires.

Un nécessaire dialogue
Les voix qui s’élèvent lors des rencontres avec les étudiantes mères ne demandent pas de diplôme au rabais. Des mesures de conciliation études-familles ne signifient pas un régime spécifique, mais plutôt la reconnaissance des obstacles systémiques auxquels ces femmes font face. Ces dernières revendiquent d'être reconnues dans leurs difficultés faites d’injonctions à tout concilier, de petits réglages leur permettant d'arriver au bout sans laisser de plumes – ni celles de leurs enfants. Pour toutes ces raisons, il est primordial d’ouvrir le dialogue avec l'administration et le corps enseignant[2].


Les étudiantes mères ont peu de droits

Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS)[3], les étudiant·e·s exerçant des responsabilités familiales représentent 5,3% de la population étudiante. Toutefois, ce chiffre sous-estime les personnes, plus particulièrement les femmes, qui souhaiteraient reprendre des études, mais ne considèrent pas cette option dans l'immédiat. En effet, beaucoup de femmes renoncent aux études ou attendent que leurs enfants soient plus grands pour se lancer. La statistique de l’OFS met donc en avant le peu d’accessibilité aux études pour cette population.

Selon une enquête datant de 2015, les étudiant·e·s avec responsabilités familiales représentent 4% des étudiant·e·s de l’Université de Lausanne[4]. Ce taux est mis en avant par l’administration pour justifier la non-inclusion des étudiant·e·s dans les mesures de conciliations famille-travail: il est jugé « trop petit pour nécessiter la mise en place de mesures spéciales ». Pourtant, il représente près de 500 étudiant·e·s !

Il existe très peu de droits acquis et unifiés pour ces étudiant·e·s entre les facultés ou à l’échelle cantonale. Cela génère une logique du cas par cas qui dilue la responsabilité des institutions de formation, leur évite de prendre une position unitaire et amène un déficit de transparence quant aux critères de décision.

Cela pose également la question de la reconnaissance de ces personnes.


[1] Rappelons que le total de boursier reste très bas (4%), ce qui nécessite aux étudiant-e-s d’exercer un travail accessoire pour subvenir à leurs besoins.

[2] Pour plus d’informations, consultez le lien « Conciliation études-famille » de la section Étudiante du SSP

[3] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/education-science/personnes-formation/degre-tertiaire-hautes-ecoles/situation-sociale-economique-etudiants.html

[4] FORS: Enquête sur la conciliation des sphères de vie à l’UNIL: les études-la famille-le travail. Lausanne, juin 2015.