Pas de chèque en blanc aux assureurs !

La campagne sur la réforme LPP bat son plein avec, au centre du débat, une bataille de chiffres. La méfiance est de mise. Le NON à la réforme LPP s’impose.

Eric Roset

La réforme LPP donne lieu à une foire d’empoigne sur les chiffres. Parce que l’avenir de nos rentes ne peut se jouer sur un texte aussi opaque et dont les conséquences sont aussi incertaines, nous voterons NON le 22 septembre.

Les calculs officiels

Le Parlement a résumé les effets de la réforme LPP sur nos rentes dans un tableau [1]. Les calculs portent sur la LPP obligatoire, ils simulent des parcours professionnels théoriques (même salaire jusqu’à la retraite, pas d’interruption de carrière) et incluent le bonus pour la génération transitoire, bien que selon les propres estimations de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), seul un quart des assuré·e·s y aurait droit en entier. Nous l’avons néanmoins utilisé et nous avons pris le cas le plus favorable dans l’optique de la réforme, celui d’une personne de 25 ans, avec un salaire annuel de 25 000 francs, qui travaille pendant quarante ans. Résultat: à l’heure où les salaires réels sont en chute libre (voir en page 6), la cotisation explosera, dès l’entrée en vigueur de la réforme, de 21 à 150 francs par mois pour une rente promise, en 2065, de 467 francs par mois. Ce maximum se réduit avec l’âge: une personne de 55 ans, avec un même salaire, peut espérer une rente du deuxième pilier de 306 francs en 2035.

L’OFAS embellit les chiffres

Après la monumentale erreur de prévision sur l’AVS, l’OFAS embellit les chiffres pour mieux vendre sa réforme. Ses calculs sont bien trop optimistes. En vingt ans, les rentes du deuxième pilier ont fondu de 40% selon le baromètre de VZ [2]. Et n’oublions pas que le deuxième pilier n’a jamais tenu ses promesses. Rappelons-nous, en 1985, à l’entrée en vigueur de la LPP, on nous promettait un taux de conversion de 7,2% et un taux d’intérêt minimum de 4% sur le capital. Que restera-t-il des promesses actuelles en 2065? D’après l’USS, les pertes de rentes dans la LPP dépassent de loin les calculs de la Confédération et touchent tous les salaires de plus de 4000 francs par mois [3].

Le ballet des chiffres

Venant embrouiller encore plus le débat, une polémique a éclaté cet été autour des prévisions de la caisse de pension Proparis. Les calculs publiés dans un premier temps ont été corrigés, avec cet avertissement de l’«expert» qui a fait et refait les calculs: «les nouveaux chiffres doivent également être interprétés avec prudence.» Pour l’USS, même avec les nouveaux calculs, «chez les plus de 50 ans, la réforme entraîne une baisse des rentes pour environ 70% d'entre eux [4].» Désorienté, un journaliste a demandé à Élisabeth Baume-Schneider comment il pourrait connaître les effets de la réforme sur sa rente. Réponse de la ministre: il faut demander à sa caisse de pension [5]. Un peu léger de la part de celle qui est politiquement responsable d’une réforme aussi importante pour l’avenir de nos retraites.

L’étude bidon d’Alliance F

Un autre chiffre circule aussi dans la presse: 275 000 femmes toucheraient plus après la réforme. Or, cette estimation est fondée sur une étude qui, entre autres hypothèses étranges, calcule la rente future sur la base d’un salaire identique pendant toute la vie, sans interruption. Or, le parcours des femmes, en particulier des mères, reste discontinu. Comment une organisation prétendument féministe peut-elle faire l’impasse là-dessus? L’étude ne chiffre pas les cotisations supplémentaires, dont le coût risque bien d’être reporté sur les salarié·e·s selon la NZZ : «En principe, les employeurs doivent payer au moins la moitié des cotisations salariales. Toutefois, les travaux de recherche suggèrent que les employeurs répercuteront l’augmentation des coûts non salariaux du travail sur les salariés, par exemple en réduisant l’augmentation du salaire brut et en réduisant l’emploi. Une grande partie du reste est répercuté sur les prix, ce qui fait également peser une charge sur les salariés en tant que consommateurs [6].» Alliance F ne dit rien sur le montant des rentes promises. Or, l’étude précise que «pour les personnes dont le salaire annuel se situe entre 19 845 francs et 22 050 francs, les rentes de la prévoyance professionnelle seraient de toute façon très faibles, et il se pourrait bien que la personne doive demander des PC à la retraite [7].»

Seul chiffre béton: la baisse du taux de conversion

La polémique sur les chiffres cache bien le véritable enjeu de la votation du 22 septembre: la baisse du taux de conversion, qui est la mesure au cœur de la réforme. Cela fait de nombreuses années que la droite et les milieux de l’assurance veulent baisser ce taux. En 2010, nous avions déjà combattu par référendum cette même mesure qui avait été rejetée à une majorité de plus de 70% des voix. Et pour cause. Baisser le taux de conversion, c’est baisser les rentes, car c’est ce taux qui va transformer le capital en rente. Ainsi, si le taux passe de 6,8% à 6% pour un même capital de 100 000 francs, la rente ne sera plus de 6800 francs, mais de 6000 francs par an. La baisse est mathématique: moins 12%. On peut tourner les chiffres dans tous les sens, le résultat sera toujours le même. Donc, oui, la réforme de la LPP baisse les rentes.

Le taux de conversion minimum s’applique sur la part obligatoire du deuxième pilier. Comme 85% des assuré·e·s ont un régime sur-obligatoire, on nous fait croire que seule une minorité de personnes sera concernée par cette réforme. Or il n’en est rien. Car ce taux minimum s’applique à tout le monde pour ce qui est de la part obligatoire de son deuxième pilier. Certaines caisses appliquent deux taux différents, d’autres ont un régime dit enveloppant. Dans tous les cas, le minimum LPP doit être garanti. Ainsi, si le minimum légal baisse, la porte s’ouvre pour des détériorations en cascade qui concerneront tout le monde. En vingt ans, le taux de conversion moyen a baissé de 7,45% à 5,3%[8]. La réforme LPP ouvre de nouvelles perspectives de baisses des rentes aux caisses de pension, car leur marge de manœuvre s’élargirait. Et pour les rares caisses de pension qui survivent en primauté de prestations, comme celles des cantons de Vaud et de Genève, elles n’échapperont pas à une pression accrue pour suivre le mouvement baissier avec la sempiternelle ritournelle des «privilèges». Dès lors, quoi qu’on nous dise, il est évident que la réforme de la LPP concerne tout le monde et qu’il faut la renvoyer à l’expéditeur.

L’argent du oui

La campagne du oui bénéficie d’un gros budget et ce n’est pas étonnant. Economiesuisse met 1,4 million, l’Union patronale 1 million. Mais, et ce n’est pas habituel, les assureurs engagent aussi beaucoup d’argent dans la campagne. L’ASA (Association suisse d’assurances) et AXA ont versé 843 300 francs [9] au comité du oui. Un joli pactole qui sert notamment à financer les affiches format mondial tapissées dans tout le pays avec des salarié·e·s qui récitent bravement: «Mon travail mérite une solide retraite.» Joli slogan qui restera tel. Depuis quand l’ASA et AXA s’intéressent-elles au sort des salarié·e·s? La réalité est que, au-delà de la polémique des chiffres, la réforme va globalement apporter 2,1 milliards de plus de cotisations dans les caisses du deuxième pilier, et ce, chaque année. Et que cette réforme va encore renforcer le système des trois piliers et son business, très lucratif pour ces acteurs.

Emplois multiples floués

L’argent des assureurs sert aussi à financer un clip du Comité du oui qui prétend que la réforme de la LPP permettra de combler les lacunes des personnes qui ont plusieurs jobs à temps partiel [10]. Or, il n’en est rien. Le cumul reste facultatif. Seule nouveauté: la possibilité de s’affilier à une caisse de pension de son organisation professionnelle. Encore faut-il que cette caisse existe et que les dispositions réglementaires le prévoient. Rien de plus. Certes, la baisse du seuil d’entrée à 19 845 francs par année permettra à quelque 70 000 personnes, selon les évaluations de la Confédération, d’entrer dans le deuxième pilier. Mais il faudra aussi veiller à l’effet de seuil indésirable, car certains employeurs seront tentés de baisser le taux d’activité ou de le répartir sur plus de salarié·e·s pour éviter d’entrer dans la LPP.


[1] https://www.parlament.ch/centers/documents/fr/BVG-Reform-Ubersichtstabelle-zum-Ausgleichsmodell-nach-der-EK-vom-15-03-2023-FR.pdf. Ces chiffres se basaient sur une entrée en vigueur en 2025, ce qui est peu vraisemblable.

[2] Vermogenszentrum, Baromètre VZ de la retraite 2023, août 2023.

[3] USS, communiqué de presse du 26 aout 2024.

[4] Watson, 24 août 2024.

[5] Sonntagszeitung, 18 août, 2024.

[6] Neue Zürcher Zeitung, Die zentrale Frauenfrage zur Rentenreform, 24 août 2024.

[7] BSS, Auswirkung der BVG-Reform, 21 mars 2024.

[8] Swisscanto, Étude sur les caisses de pension en Suisse en 2024.

[9] https://www.blick.ch/wirtschaft/843300-franken-fuer-die-bvg-reform-versicherungen-stecken-viel-geld-in-die-ja-kampagne-id20070421.html?utm_medium=email&utm_campaign=share-button&utm_source=transactional

[10] https://oui-lpp.ch/jeune-flexible/