Le texte soumis au vote le 22 septembre est une modification de la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (Réforme LPP). Cette loi fixe les standards minimums qui s’appliquent au deuxième pilier. Le cœur de la révision est constitué par la baisse du taux de conversion, qui sert à calculer la rente, de 6,8% à 6%, soit une baisse des rentes de presque 12%!
Payer plus
Pour supposément «compenser» la baisse des rentes due à la baisse du taux de conversion, la réforme LPP va faire passer les travailleurs·euses à la caisse, à travers plusieurs mécanismes différents. Le seuil d’entrée est abaissé de 22 050 à 19 845 francs de salaire annuel, ce qui implique que 70 000 personnes à bas salaires vont nouvellement cotiser au deuxième pilier, sauf bien sûr si les employeurs réduisent les taux d’activité, et donc les salaires, pour rester en dessous du seuil rendant la LPP obligatoire. Ensuite, le montant de coordination, qui détermine le salaire assuré, passera à 20% du salaire AVS en lieu et place d’un montant fixe. Et enfin, les taux de cotisations seront lissés: 9% jusqu’à 44 ans et 14% jusqu’à 65 ans. Ainsi, avec la réforme, on payerait 2,1 milliards de plus de cotisations au deuxième pilier chaque année. Tout le monde payera davantage, sauf les 55 ans et plus, qui verseront entre 11 et 114 francs par mois de moins. La cotisation des moins de 35 ans passera de 7 à 9%. L’augmentation des cotisations sera plus importante pour les bas salaires.
Toucher moins
Pour un même capital vieillesse, on touchera une rente réduite. Prenons l’exemple d’une personne qui cotise sur le salaire maximum assuré à la LPP, soit 88 200 francs par an, pendant quarante ans. Avec la LPP actuelle, il cumulera un capital vieillesse de 318 000 francs (intérêts non compris), et touchera une rente de 1 800 francs par mois. Avec la réforme, son capital augmentera à 330 000 francs, mais sa rente baissera à 1 650 francs.
Au final, tous les salaires de plus de 70 000 francs par an sont perdants, avec des baisses de rente pouvant aller jusqu’à 270 francs par mois. Et ce, en tenant compte des mesures pour la génération transitoire, soit les plus de 50 ans. En effet, le Parlement a prévu un supplément dégressif de 200 francs par mois au plus, mais les conditions sont si strictes qu’au maximum seul un quart des assuré·e·s toucherait l’entier du bonus. Ces mesures seront financées par une cotisation supplémentaire de 0,24% sur tous les salaires inférieurs à 150 000 francs par an.
Femmes flouées
La réforme LPP est présentée comme favorable aux femmes, qui sont majoritaires parmi les bas salaires et les temps partiels. Or il n’en est rien car les problèmes structurels qui sont à l’origine des inégalités de rente LPP entre hommes et femmes ne sont pas résolus. En effet, aucune solution n’est proposée aux personnes qui cumulent de multiples emplois, l’affiliation restant facultative. Concernant le montant de coordination, il a déjà été adapté au taux d’activité par neuf caisses sur dix, sans effet notable sur la rente moyenne des femmes qui reste 2 fois inférieure à celle des hommes. Pour s’attaquer réellement aux inégalités, il faut impérativement reconnaître le travail non rémunéré encore majoritairement assumé par les femmes. Concrètement, il faut un bonus éducatif et le splitting intégral des rentes.
Plus fondamentalement, pour garantir le maintien du niveau de vie antérieur et pour compenser les inégalités salariales persistantes, il faut un système de retraite solidaire entre les bas et les hauts revenus. Tout le contraire de ce qui est proposé.
Un cadeau pour les assureurs !
La droite, qui prétend que la 13e rente est trop chère, applaudit pourtant à la hausse massive des cotisations LPP. La raison est simple : loin de «favoriser les femmes», cette réforme avantage les assureurs, qui ont gagné plus de 10 milliards en vingt ans et vont pouvoir gagner encore plus, puisque cette réforme ne fait que renforcer encore le business du deuxième pilier. Les banques, experts et autres courtiers prélèvent déjà plus de 6 milliards de francs par année sur nos avoirs de vieillesse alors que les frais de gestion ont doublé en dix ans[1]. Ils atteignent maintenant le montant moyen de 1400 francs par année et par assuré·e. Dans l’AVS, ces mêmes frais administratifs se montent environ à 25 francs par assuré·e et par année.
Pour une prévoyance vieillesse durable, il faut en finir avec ce business de la capitalisation et renforcer l’AVS.
Renforcer l’AVS
La réforme LPP représente un hold-up sur les bas salaires, pour un rapport prix-prestation désastreux, comme le montrent les deux exemples pour un salaire de 25 000 francs par an ou 2083 francs par mois:
- Pour une personne née en 2000, la cotisation LPP passera de 21 à 150 francs[2] par mois (6,2% du salaire), payée par moitié par l’employeur. En 2065, elle devrait toucher un supplément de rente de 361 francs par mois. C’est toutefois hypothétique et dépendant du parcours de vie (des périodes de chômage ou de baisse du taux d’activité après la naissance d’un enfant ont un impact immense sur le niveau des rentes). Surtout, la LPP n’a jamais tenu ses promesses, les rentes baissant constamment. Il suffit de regarder 40 ans en arrière et de se souvenir des promesses et engagements d’alors: primauté de prestations, 60% du dernier revenu assuré pour tout le monde, taux d’intérêt fixe dans la loi à 4%, taux de conversion minimum à 7,2%!
- Pour une personne née en 1970, la cotisation passera de 55 à 233 francs par mois (8,6% du salaire), payée à moitié par l’employeur. En 2035, elle devrait toucher un supplément de rente de 200 francs par mois, en tenant compte des mesures transitoires, soit au total une rente LPP de 306 francs par mois. Un montant qui reste insuffisant pour vivre. Or, en cas de demande de prestations complémentaires (PC), ce montant sera pris en compte et réduira d’autant les PC.
En comparaison, pour le même salaire de 25 000 francs et quel que soit l’âge de l’assuré·e, la 13e rente AVS ne coûte que 17 francs de plus par mois, payés à moitié par l’employeur. Le supplément de rente moyen est de 160 francs par mois et ne compte pas pour déterminer le montant des PC.
La réforme LPP exonère les salaires de plus de 150 000 francs par année des cotisations destinées à financer les mesures transitoires. Tout le contraire du financement de l’AVS basé sur la solidarité et dans lequel 92% de la population bénéficie des cotisations des 8% les plus riches. Dans l’AVS, les rentes sont indexées automatiquement, les périodes de chômage ne sont pas génératrices de risques pour la retraite, il existe le partage intégral des revenus et les périodes consacrées à l’éducation des enfants sont prises en compte.
Il n’y a pas photo: l’AVS est la meilleure assurance pour l’écrasante majorité de la population!
Tout le monde est concerné
Les partisan·e·s de la réforme LPP affirment que seul·e·s 15% des salarié·e·s sont touché·e·s par la baisse du taux de conversion minimal de 6,8% à 6%. Rien n’est plus faux. En premier lieu, si, dans son «Message concernant la modification de la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité», le Conseil fédéral chiffre le nombre d’assuré·e·s couvert·e·s uniquement par le minimum légal LPP à 12%, il ajoute qu’«environ 20% des assurés sont fortement concernés par le taux de conversion minimal, car seule une part de leur avoir de vieillesse relève du régime surobligatoire[3]». C’est donc pratiquement le tiers des assuré·e·s qui sont touché·e·s. Et il s’agit évidemment des salarié·e·s les moins bien loti·e·s sur le plan des salaires, du niveau des rentres et de l’espérance de vie.
La part obligatoire de la prévoyance professionnelle rapportée à l’ensemble des capitaux est de l’ordre de 40%, ce qui est loin d’être négligeable. Les taux de conversion allant au-delà du minimum LPP ne cessent de chuter ces dernières années, la baisse est de l’ordre de 14% entre 2014 et 2022[4].
Le taux de conversion minimal représente ainsi une forme de garantie minimale de prestations et le réduire (la baisse se monte à pratiquement 12%!) aura évidemment un impact sur les conditions d’assurance de l’ensemble des assuré·e·s, même ceux et celles bénéficiant de conditions d’assurance allant bien au-delà du minimum légal, comme dans le secteur public où existent encore (toujours plus rarement) des caisses pratiquant la primauté de prestations (système dans lequel les rentes sont fixées en fonction du revenu et non en fonction d’un capital individuel accumulé).
Si la réforme soumise au vote est acceptée, c’est l’ensemble des standards qui sera tiré vers le bas. La défense du niveau des rentes LPP passe ainsi, pour toutes et tous, par la défense du taux de conversion minimal qui représente la garantie que la partie du capital vieillesse obligatoirement assuré ne pourra pas être dévaluée.
[1] https://arnaque-lpp.ch/wp-content/uploads/argumentaire_lpp-fr.pdf
[2]Tous les calculs sont tirés du document du Parlement du 16.03.2023 qui prévoyait alors une entrée en vigueur en 2025 (elle a été reportée à 2027).
[3] Cité par Guido Freda dans son article « NON à LPP 21. NON à un projet néfaste pour les assuré-e-s, profitable pour la seule Swiss Life », publié le 18 juin 2024 sur alencontre.org.
[4] Ibid.