Pas touche aux rentes de veuves !

Le Conseil fédéral a adopté le message sur «l’adaptation des rentes de survivants de l’AVS». Sous couvert d’égalité, il s’agit d’un projet de démantèlement. Inacceptable.

Eric Roset

Pas d’économies sur le dos des veuves !

Michela Bovolenta, secrétaire centrale SSP

C’est désormais une constante sous la Coupole fédérale: lorsqu’on parle égalité entre femmes et hommes, c’est pour niveler vers le bas les acquis sociaux. La réforme des rentes de survivant·e·s n’en est qu’un exemple de plus. Il est particulièrement honteux puisque cette révision va frapper des femmes déjà fragilisées par un veuvage, en ajoutant aux difficultés de la perte de l’être cher des difficultés économiques. Car une fois enlevées les phrases pompeuses et les quelques bonbons pour faire passer la pilule, il reste un chiffre: moins 770 millions de francs par année à l’horizon 2035 [1]. C’est énorme, puisqu’aujourd’hui, la somme consacrée aux rentes de veuves et de veufs est d’environ 1,8 milliard de francs [2]. Une coupe claire dans le budget de l’AVS, défendue par la ministre socialiste Élisabeth Baume-Schneider, qui semble se plaire dans le rôle de fossoyeuse de nos retraites.

L’arrêt de la Cour européenne a bon dos

Le 11 octobre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt qui oblige la Suisse à supprimer l’inégalité de traitement entre les veuves et les veufs qui ont des enfants. Cet arrêt a été rendu à la suite de la plainte d’un père, veuf, ayant perdu sa rente une fois son enfant cadet majeur. La Suisse a donc adapté, provisoirement, le droit pour garantir aux veufs les mêmes conditions qu’aux veuves, ce qui coûte environ 12 millions de francs par an. Un montant modeste pour un pays aussi riche que la Suisse, qui peut tolérer que la conseillère personnelle d’une conseillère fédérale (Viola Amherd) touche un salaire, payé par nos impôts, supérieur à celui du président des États-Unis.

Non à l’égalité par le bas

Pour justifier ce démantèlement, le Conseil fédéral prétend vouloir «adapter les prestations à l’évolution de la société, qui comprend une participation active des femmes sur le marché de l’emploi, et de tenir compte des nouvelles formes de structures familiales». Le SSP est pour l’élargissement de cette rente à toutes les formes de couples, mais cela ne doit pas se faire au détriment des veuves. Car, s’il est vrai que les femmes travaillent davantage, elles continuent de le faire à temps partiel et ont des salaires plus bas. Dans l’écrasante majorité des cas, ce sont encore et toujours les mères qui réduisent le taux d’activité ou quittent, du moins temporairement, le marché du travail à la naissance d’un·e enfant.

Non à la précarité des veuves

Le Conseil fédéral le reconnaît d’ailleurs lui-même puisque, dans son Message, il précise que «les études sur la situation économique des survivants montrent notamment que les veufs se trouvent d’ordinaire dans une meilleure situation économique que les veuves. Contrairement aux hommes, les femmes ont plus tendance à travailler à temps partiel, a fortiori lorsqu’elles deviennent mères, tandis que le taux d’activité des hommes reste élevé, quelle que soit leur situation familiale.». Et de préciser qu’en 2022, 86% des hommes ayant des enfants de moins de 15 ans travaillaient à plein temps contre seulement 22% des mères et que parmi celles à temps partiel (78%), 42% étaient occupées à moins de 50%. Malgré ce constat, le Conseil fédéral s’empresse de niveler l’égalité des parents survivants vers le bas, avec le risque certain de faire plonger des milliers de veuves et leurs enfants dans la précarité. Car il est parfaitement illusoire de croire qu’une veuve puisse d’emblée améliorer sa situation au point de compenser le manque à gagner qu’elle subit à cause de la perte du conjoint. Le temps passé à élever les enfants et la perte du salaire qui en découle ne se rattrapent pas aussi facilement. Et à cela s’ajoute l’inégalité salariale structurelle qui pèse sur les revenus des femmes et que le Conseil fédéral ne semble pas aussi pressé que cela d’éliminer.

Non à la logique de l’assistance

Le Conseil fédéral prévoit des mesures transitoires qui non seulement sont très insuffisantes, mais aussi renforcent la logique de l’assistance au détriment de l’assurance. S’il propose de maintenir les rentes en cours, cela ne concernera que les plus de 55 ans. Pour les autres il ne prévoit qu’une courte période transitoire. Et, pour les veuves de plus de 58 ans en difficulté, il les renvoie aux prestations complémentaires, qui, on le sait, sont octroyées sous conditions de ressources.

Oui à une AVS forte, solidaire et égalitaire

Nous réitérons notre position en faveur d’un renforcement du premier pilier. Pour une AVS forte, nous refusons toute baisse de la contribution de la Confédération et demandons le versement de la 13e rente en 2025. Pour une AVS solidaire, nous défendons un financement via les cotisations salariales. Pour une AVS égalitaire, nous sommes pour l’élargissement du droit actuel des veuves sans discrimination de genre ou de statut, mais aussi pour la fin de la discrimination des couples mariés, qui ne touchent que 150% de deux rentes, alors que les couples non mariés touchent deux rentes pleines.

Rente de veuvage: les mesures proposées

Le Conseil fédéral défend une ligne dure dans sa réforme des rentes de survivant·e·s. Ci-dessous le détail des mesures:

  • Une rente de survivant·e serait versée aux veuves et aux veufs d’enfants de moins de 25 ans quel que soit leur statut. Une fois que le·la dernier·ère enfant atteint cet âge, la rente est supprimée, sauf si l’enfant adulte est atteint·e dans sa santé.
  • Le parent veuf d’un·e enfant de plus de 25 ans toucherait une rente transitoire pendant deux ans suivant la date du décès du·de la partenaire si celui·celle-ci avait une obligation d’entretien.
  • Les personnes qui perdent leur partenaire à 58 ans ou plus et qui se trouveraient dans le besoin auraient droit aux prestations complémentaires.
  • La rente de veuve pour les femmes âgées de plus de 45 ans, mariées depuis au moins cinq ans et sans enfants est supprimée.
  • Mesures transitoires: maintien des rentes en cours pour les veuves et veufs de plus de 55 ans. Pour les moins de 55 ans, les rentes en cours seraient supprimées deux ans après l’entrée en vigueur de la réforme.

[1] Message du Conseil fédéral, page 50.

[2] OFAS, Statistiques de l’AVS 2022.