Les femmes d'Islande en grève générale

Le 24 octobre, les Islandaises se sont mises en grève pour exiger l’égalité salariale. Un événement qui fait écho, en Suisse, aux préparatifs de la grève féministe nationale du 14 juin 2019.

Breytum ekki konum, breytum samfélaginu !
Ne changeons pas les femmes, changeons la société !

Arnarhóll est une colline verdoyante au coeur de Reykjavík. Ce mercredi 24 octobre, à 15 h 15, les rues du centre-ville sont fermées, aucune voiture ne circule. Les ouvriers des chantiers adjacents ont été priés d’arrêter leur ouvrage. Au pied de la butte, une scène est prête à accueillir les oratrices.

Inégalités et violences
En l’espace de quinze minutes, la colline se noircit de monde – des femmes majoritairement, quelques hommes solidaires aussi. Des pancartes multicolores réclamant l’égalité salariale sont brandies; le hashtag #Metoo n’est pas en reste.
Les oratrices se succèdent. Elles évoquent l’égalité salariale, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, la violence domestique et la précarité des femmes migrantes. Des thèmes malheureusement universels.

Travail gratuit dès 14h55
Les femmes d’Islande ont été appelées à quitter leur travail à 14 h 55 et à se rassembler pour exiger l’égalité salariale. Pourquoi 14 h 55 ? Parce que les statistiques nationales montrent que le salaire moyen des femmes est 26% plus bas que celui des hommes. De fait, les femmes travaillent donc gratuitement après 14h55 !
La Ministre de la Justice, issue d’un parti conservateur, a contesté ces chiffres, alors que la Première Ministre, issue d’un parti socialiste, féministe et écologiste, a quitté ses bureaux à 14 h 55 et encouragé son staff féminin à faire de même.
L’appel à la grève était national: des rassemblements ont été organisés dans bon nombre de localités du pays. C’est la cinquième fois, depuis 1985, que cette forme de grève touche l’Islande.

La grande grève de 1975
La date du 24 octobre fait référence au Kvennafrídagurinn (Jour de congé des femmes): le 24 octobre 1975, les Islandaises ont cessé toute activité pour défendre leurs droits. Elles ne se sont pas rendues à leur travail rémunéré et ne se sont pas occupées des tâches domestiques. Le mouvement a été suivi par 90% des femmes, l’économie a été bloquée. Des usines, des écoles, des crèches, des théâtres ont fermé leurs portes; les journaux n’ont pas été imprimés; les hommes, souvent des cadres, ont dû remplacer les femmes dans les secrétariats, aux guichets des banques, des postes ou aux caisses des magasins. À la maison, les femmes ont cessé de cuisiner, de s’occuper des tâches ménagères et des enfants. En paralysant le pays, les Islandaises ont prouvé que sans elles, le pays s’arrête.

Prouver L’égalité
Quarante-trois ans après cette grève historique, l’Islande est considérée comme l’une des nations les plus égalitaires au monde. Cela ne signifie cependant pas que l’égalité absolue est atteinte, ni que le harcèlement sexuel a disparu.
Le 1er janvier 2018, une nouvelle loi interdisant les écarts salariaux entre hommes et femmes est entrée en vigueur. Toute entreprise, privée ou publique, comptant plus de 25 employé-e-s doit démontrer qu’elle respecte l’égalité salariale, faute de quoi elle risque une amende – jusqu’à 450 francs par jour. Un audit, sanctionné par un certificat renouvelable, est mené auprès de chaque entreprise. La petite révolution, c’est que c’est aux entreprises de prouver qu’elles respectent l’égalité salariale – et plus aux salariées de démontrer qu’elles sont victimes de discrimination. Cette loi touche aussi les discriminations liées à l’origine ethnique, la religion, l’âge, l’orientation sexuelle ou le handicap. Les autorités se sont fixé l’horizon 2022 pour atteindre l’égalité parfaite.
Cette loi devrait permettre d’améliorer l’égalité salariale au sein d’une entreprise. Elle n’aura cependant aucune prise sur les stéréotypes du marché du travail: certaines professions majoritairement occupées par des femmes resteront moins bien rémunérées que celles dites masculines.

Inspiration pour la Suisse
La première loi islandaise sur l’égalité date de 1961. La loi de 2018 devrait insuffler un élan dans la lutte pour l’égalité. Elle ne manquera pas de donner des idées aux femmes de Suisse, qui attendent depuis 1981 les effets concrets de l’inscription de cette notion dans la Constitution. Les revendications des femmes d’Islande sont les mêmes que celles de leurs camarades de Suisse: rémunération équitable, égalité, sécurité chez soi et au travail.

Ici ou là-bas, continuons à nous mobiliser ! Et rendez-vous, en Suisse, le 14 juin 2019, pour une nouvelle grève des femmes !


Sabine Furrer, secrétaire SSP Région Genève