Le 8 août dernier, cinq femmes qui rentraient chez elles après une soirée en boîte se sont fait tabasser par un groupe d’hommes à Genève. Une manifestation a été immédiatement organisée par les milieux féministes et de gauche, suivie d’autres rassemblements dans des villes romandes et jusqu’à Zurich et Berne. Alors que, depuis des mois, les femmes se mobilisent contre les violences sexistes, cette agression a fait, à juste titre, couler beaucoup d’encre. Quelques jours avant cet événement, la vidéo d’une jeune parisienne recevant une baffe de la part d’un jeune homme qui l’avait harcelée verbalement et n’avait pas supporté qu’elle réagisse avait fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Ces agressions se sont passées dans la rue, et non pas sur un lieu de travail. Pourtant, en tant que femmes syndicalistes, nous nous sentons concernées.
Une violence indivisble
Nous sommes concernées parce que la violence à l’encontre des femmes est une et indivisible: celui qui agresse une femme dans la rue ne respectera ni sa compagne à la maison, ni sa collègue sur le lieu de travail. C’est une réalité qui fait mal. Mal aux femmes, qui ne peuvent se sentir en sécurité nulle part. Mal aux hommes, qui peuvent se sentir mis en cause injustement. C’est peut-être en raison de ce malaise que le débat a rapidement glissé, une fois de plus, sur la question des migrants. Cet homme étranger qui viendrait d’un ailleurs lointain – même s’il est né ici –, qui aurait une autre culture, que l’on devine inférieure à la nôtre, et qui aurait une image rétrograde de la femme représente l’échappatoire idéale: se rassurer, se disculper, se déresponsabilier. En parlant du migrant, en accusant les femmes de gauche qui ont lancé les premières la mobilisation de faire dans l’angélisme, on escamote le sujet principal: la violence à l’encontre des femmes.
Sexisme sans frontières
Pourtant, durant ces derniers mois et années, nous avons assisté à nombre de scandales qui ont impliqué des hommes blancs, cultivés, riches, bien de chez nous: des Strauss-Kahn, des Weinstein, des Berlusconi, des Buttet. Certes, les formes et l’intensité varient. Mais les mécanismes sont comparables. Si bien que les femmes se mobilisent partout: de Bombay à New York, de Buenos Aires à Madrid en passant par Genève. Alors, admettons que la violence contre les femmes ne connaît pas de frontières: ni de territoire, ni de race, ni de classe. Il s’agit d’une violence de genre enracinée dans un sexisme ordinaire.
Réaction décevante
Face au tollé soulevé par l’agression des cinq genevoises, le conseiller d’Etat Pierre Maudet s’est senti en devoir de réagir. Sans surprise, il a pointé du doigt les immigrés qui auraient grandi dans des cultures patriarcales, sous-entendant que la culture suisse n’en serait pas une. Fort de ce constat, il propose d’améliorer l’intégration des migrants. Le ministre propose aussi d’augmenter les effectifs de la police. Pas besoin de consulter une boule de cristal pour deviner qu’avec ce type de mesures, on n’ira nulle part. Augmenter les effectifs de la police, c’est en effet intervenir au bout du processus. Alors qu’il faut intervenir en amont, en menant de vraies campagnes de prévention dans les écoles, les entreprises, les instances judiciaires.
Egalité et service public
Pour mettre en échec la violence à l’encontre des femmes, il faut surtout faire progresser l’égalité dans les faits en mettant fin aux discriminations et au sexisme. Il faut aussi, et cela nous intéresse particulièrement comme syndicat des services publics, mettre en place une vraie politique publique de l’égalité – qui comprend la prévention et d’aide aux victimes de violence, mais aussi des mesures de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité dans les domaines professionnel, familial et de la vie publique. Pour cela, il faut des moyens financiers à même de développer le service public.
Or, c’est le contraire qui se passe. Il y a deux ans, le Conseil fédéral décidait par exemple de supprimer, dès 2019, l’aide financière prévue dans la Loi sur l’égalité à onze services de consultation pour les femmes, répartis sur tout le territoire national.
Face à un tel immobilisme, la seule solution est que les femmes, soutenues par les hommes solidaires, prennent les choses en main et se mobilisent à nouveau.
D’abord le 22 septembre, puis pendant toute l’année, jusqu’à la grève du 14 juin 2019.