Le TF a certes admis que l’information du Conseil fédéral «aurait mérité plus de précision», mais il est resté «indécis» quant à savoir si l’erreur a eu un impact sur le vote. Pour arriver à cette conclusion, le TF a péroré durant près de trois heures. Les juges ont ainsi longuement disserté pour déterminer si l’erreur de l’OFAS était «grave» ou pas, si l’information erronée avait «gravement influencé» la libre formation de l’opinion du corps électoral ou pas, si quelques milliards en plus ou en moins dans les perspectives financières de l’AVS pouvaient être considérés comme une «grave» erreur ou pas, si l’annulation de la votation avait des conséquences «graves» sur la stabilité du pays ou pas. Mais à aucun moment, les juges n’ont essayé de savoir si un oui extorqué par à peine 31 195 voix d’écart, sur la base d’une erreur, entraînait des conséquences graves sur les conditions de vie des femmes ou pas.
Bien sûr, nous savions qu’il y avait peu de chances que le TF prenne une autre décision, mais l’unanimité du vote des juges vient confirmer le déni non seulement de justice, mais aussi de démocratie car, finalement, AVS 21 nous a été imposé par une lutte inique qui a duré vingt ans, depuis le vote contre la 11e révision en 2004, et qui a été caractérisé notamment par les trahisons multiples des ministres socialistes et par un discours systématiquement fallacieux sur les finances de l’AVS dont le but n’était pas d’informer objectivement les citoyennes et les citoyens, mais de leur faire peur afin de les amener à accepter une mesure de régression sociale.
Face au déni de justice dont a fait preuve le TF, nous sommes rouges de colère. Certes, nous n’avons pas été très surprises car nous savons que la justice est imprégnée des rapports de domination de classe, de genre et de race. L’ordre établi et la «sécurité juridique» priment sur la valeur de nos vies, en particulier des vies de toutes ces travailleuses aux métiers pénibles et aux salaires modestes, toutes celles aussi qui consacrent des milliers d’heures au travail non rémunéré qui est si peu reconnu, mais sans lequel la société ne fonctionnerait pas. Ces travailleuses sont restées invisibles aux yeux des juges. Certes, pour l’occasion, le TF a voulu se la jouer parité de genre et a pris la précaution de présenter une cour composée de trois hommes et deux femmes, donnant exceptionnellement la parole à la greffière. Mais au-delà de la parade, son jugement reste sexiste. Car ce sont les femmes, uniquement, qui vont subir les conséquences de ce vote basé sur une erreur. Pas toutes les femmes toutefois, car certaines, comme les juges, les conseillères fédérales et autres VIP, font désormais partie de l’establishment et servent de caution au système patriarcal qui peut ainsi se prévaloir de progresser en matière d’égalité, alors que les femmes des classes populaires payent le prix fort des coupes dans les assurances sociales et des politiques d’austérité dans les services publics.
La droite s’est réjouie du rejet de l’annulation de la votation sur AVS 21 et est déjà prête à repartir au combat pour obtenir d’autres péjorations de nos retraites, cependant qu’elle vote des millions pour l’armée. Et la gauche institutionnelle est déjà prête à repartir dans son délire habituel qui consiste à s’agiter contre des attaques aux assurances sociales portées par ses propres ministres. Ce jeu de rôle, à la longue, est fatigant: AVS 21, réforme de la LPP, EFAS, 13e rente, c’est toujours pareil. Et ce sera pareil pour les prochaines batailles sur les retraites: la ministre socialiste Élisabeth Baume-Schneider, que nous avions pu croire sensible aux situations des personnes en détresse et en précarité, a présenté un projet de démantèlement de la rente de veuve, au prétexte d’une égalité toujours et seulement appliquée vers le bas. Et puis, il y aura la énième révision de l’AVS, annoncée pour 2026 déjà et qui ne promet rien de bon, la droite mettant la pression pour relancer encore son idée fixe d’augmenter l’âge de la retraite de toutes et tous à 67 ans.
Déboutées par le TF, nous restons vent debout contre les fossoyeurs et les fossoyeuses de nos retraites!
Michela Bovolenta, secrétaire centrale SSP, décembre 2024