Presque 2000 ans ont passé. Et la prophétie de Jean se réalise de manière terrifiante. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a déclaré le 23 juin: «Nous sommes au seuil d’une vague de tsunamis de la faim.»
Intelligente et énergique, Catherine Russell est la directrice générale de l'UNICEF, le Fonds des Nations unies pour l'enfance. Le 3 juillet dernier à Zurich, elle a donné un compte rendu de son long voyage au Moyen-Orient et en Afrique. Dans une interview publiée dans le quotidien Blick, elle décrit la scène suivante: «Imaginez que vous vous rendez dans une clinique. Vous entrez dans une pièce où se trouvent des bébés. Et vous n’entendez aucun cri. C’est le silence total. Les enfants ne font aucun bruit. C’est effrayant, car nous savons tous que, dans une pièce remplie de petits enfants, il y a toujours un peu de bruit. Or dans la clinique en question, les bébés sont tellement sous-alimentés qu’ils n'ont même pas la force de crier. Pour moi, cette expérience a été un cauchemar. Je ne l’oublierai jamais.»
L’arme la plus efficace de l’Unicef contre la faim est une barre de beurre d’arachide, enrichie d’huile végétale et d’autres nutriments. Même les enfants souffrant de malnutrition sévère peuvent être ramenés à la vie grâce à ces barres. Le silence vécu par Mme Russell dans la clinique d’enfants qu’elle a visitée s’explique par la raison suivante: il n’y avait pas de barres d’arachide dans cet établissement, car le budget de l’Unicef est épuisé depuis mars.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU se trouve dans une situation tout aussi désespérée. À eux seuls, les coûts engendrés par les épouvantables famines qui sévissent en Afrique orientale et au Yémen dépassent le budget du PAM pour cette année. C’est pourquoi les responsables onusiens ont demandé aux pays riches de leur fournir d’urgence un financement complémentaire, à hauteur de 22 milliards de dollars. Jusqu’à présent, le montant de l’aide supplémentaire promise est de 4 milliards de dollars.
Le président russe, Vladimir Poutine, mène une guerre d’extermination contre l’Ukraine, le troisième exportateur de céréales au monde. Selon l’ONU, quarante-cinq Etats d’Afrique et du Moyen-Orient importent plus d’un tiers de leurs besoins en blé, seigle et maïs d’Ukraine. L’absence de ces importations a pour conséquence que des millions de personnes vont mourir de faim.
L’accord d’Istanbul conclu le mois dernier entre la Russie, l'Ukraine, la Turquie et l'ONU vise à rétablir les exportations de céréales ukrainiennes via des corridors protégés en mer Noire. Mais cet accord a d’ores et déjà été saboté par des bombardements russes sur la ville portuaire d’Odessa. Il ne concerne, par ailleurs, qu’une petite partie des récoltes ukrainiennes.
Quelles responsabilités avons-nous, habitant-e-s d’une Suisse richissime? Nous devons obliger le Conseil fédéral à augmenter massivement les contributions qu’il verse à l’Unicef et au Programme alimentaire mondial.
Sociologue, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations-Unis, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.
Paru dans Services Publics n° 13, 2 septembre 2022