Traduire Poutine en justice

De 1997 à 2006, Kofi Annan a été le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU). M. Annan était doté d’un humour pince-sans-rire. Un jour, il a eu la sortie suivante: «Tue une personne, et tu iras en prison. Tue dix personnes, et tu seras envoyé dans un hôpital psychiatrique. Tue dix mille personnes, et tu seras invité à une conférence de paix».

Le Statut de Rome, ratifié le 17 juillet 1998, constitue la base de la création de la Cour pénale internationale (CPI), sise à La Haye. Dans le monde entier, le tribunal de la Haye poursuit les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les génocides. Son objectif est de faire mentir les propos sarcastiques de Kofi Annan.

Depuis deux mois, comme des millions d'autres Européen·ne·s, je me retrouve chaque soir devant mon vieux téléviseur, impuissant et bouleversé. Les images d'Ukraine sont terribles.

En Tchétchénie, en Syrie et maintenant en Ukraine, la stratégie du président Poutine est toujours la même: ses missiles, ses bombes explosives et ses obus bombardent systématiquement les maisons, les hôpitaux, les écoles, les stations d’eau, les usines électriques et les entrepôts de nourriture. Le but est toujours le même: tuer le plus grand nombre possible de personnes. Le monstre du Kremlin veut ainsi briser le moral et le désir de liberté de la population civile. Or jusqu'à présent, le calcul de Poutine ne fonctionne pas: la résistance des Ukrainiennes et Ukrainiens ne faiblit pas.

Le Tribunal pénal international de La Haye est une organisation puissante, dotée d’un budget annuel de 149 millions d'euros, employant 900 collaboratrices et collaborateurs. Parmi eux, on compte de nombreux juristes, médecins légistes et policiers, hautement compétents. La plupart d'entre eux rassemblent aujourd’hui les preuves matérielles des atrocités russes commises en Ukraine. Pour chaque massacre, la chaîne de commandement verticale est reconstituée, de Poutine aux soldats meurtriers en passant par les officiers qui les commandent. Le procureur général de La Haye a déjà dans son ordinateur les noms de nombreux Russes responsables d'assassinats. S'il mettait la main sur les coupables, les procès pourraient commencer demain.

La juridiction universelle est-elle une utopie? Pas du tout. Milošević, Mladić et Karadžić, les bouchers de Srebrenica en Bosnie (1995), ont comparu devant le tribunal de La Haye. Charles Taylor, qui a fait assassiner des dizaines de milliers de personnes au Liberia entre 1991 et 2000, est détenu dans un pénitencier britannique depuis qu’il a été condamné à la prison à vie. 51 auteurs du génocide rwandais de 1994 ont également été condamnés à la perpétuité.

Et Poutine? L'histoire est imprévisible et mystérieuse. Si demain l'économie russe s'effondre, si les envahisseurs se brisent contre la résistance ukrainienne, alors un nouveau régime lui succédant à Moscou pourra envoyer le tueur de masse, menotté, à La Haye.

Notre devoir d'Européen-ne-s est de renforcer encore les sanctions contre la Russie et d'envoyer des armes efficaces aux soldats ukrainiens.

Le jour où Poutine arrivera à La Haye sera un jour de joie.


Sociologue, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations-Unis, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.

Paru dans Services Publics n° 7, 6 mai 2022