L’hypocrisie helvétique face à Israël

La Suisse est un pays fascinant, et parfois étrange. C’est ce qu’a démontré la première intervention de Pascale Baeriswyl, l’ambassadrice helvétique au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), le 1er janvier dernier.

La Suisse est un pays fascinant, et parfois étrange. C’est ce qu’a démontré la première intervention de Pascale Baeriswyl, l’ambassadrice helvétique au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), le 1er janvier dernier.

Le Conseil de sécurité se réunissait au cours d’une session urgente et extraordinaire. Avec un seul point à l’ordre du jour: les récentes violations des droits humains perpétrées par le gouvernement israélien. En particulier la provocation, illégale au regard du droit international, commise par son nouveau ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, le 30 décembre 2022.

Accompagné d’une présence policière massive, M. Ben-Gvir s’était rendu sur le mont du Temple et sur l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem. Par cette visite, le ministre faisait la démonstration de la domination de l’occupant israélien sur le deuxième lieu le plus sacré aux yeux des musulman-e-s – selon leur croyance, c’est en effet de la mosquée Al-Aqsa que le prophète Mohamed est monté au ciel pour y recevoir les écrits sacrés du Coran de la main de Dieu.

Richard Falk, ancien rapporteur spécial du Conseil des droits humains de l’ONU est, avec Noam Chomsky, l’intellectuel juif le plus important aux Etats-Unis. M. Falk décrit la stratégie déployée par Israël dans les territoires palestiniens comme un terrorisme d’Etat. Israël y torture systématiquement les prisonniers politiques, fusille les suspect-e-s – tout en bombardant régulièrement le ghetto surpeuplé de Gaza. La colonisation des terres palestiniennes est encouragée par le vol des terres et le pillage des nappes phréatiques.

L’intervention de Pascale Baeriswyl a duré exactement deux minutes et demie. Dans son discours, l’ambassadrice a condamné la politique d’Israël de manière intelligente, claire et précise. Les ambassadrices et ambassadeurs au Conseil de sécurité de l’ONU ne s’expriment pas selon leur bon vouloir: ils et elles suivent les instructions de leur gouvernement. L’intervention de Mme Baeriswyl avait donc été précédée d’intenses discussions avec la Berne fédérale. Dans ce contexte, toutes et tous avaient conscience que la condamnation d’Israël par la Suisse relevait d’une pure hypocrisie.

La Suisse entretient en effet une coopération étroite avec l’armée israélienne en matière d’armement. Ensemble, les deux pays développent des drones de combat à l’efficacité redoutable. La Suisse intègre ces armes dans son aviation militaire, alors qu’Israël les utilise pour réprimer la population palestinienne.

Comment cette complicité avec l’armée d’occupation israélienne est-elle possible? Un des principaux responsables de cette situation est Markus Seiler, le secrétaire général du Département fédéral des affaires étrangères. Ancien directeur du service de renseignement helvétique, M. Seiler manipule aujourd’hui le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis, qui est surmené. Au détour d’une interview, Georges Martin, un ambassadeur à la retraite, a surnommé M. Seiler le «Raspoutine» du Palais fédéral.

Cette hypocrisie est indigne de notre pays. La production d’armes israélo-suisse fait de nous des complices de la terrible répression qui s’abat quotidiennement sur le peuple palestinien. C’est une honte pour la Confédération.


Sociologue, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.

Paru dans Services Publics n° 10, 16 juin 2023. Retrouvez les autres billets de Jean Ziegler sur www.ssp-vpod.ch/la-suisse-existe.