Les réfugié-e-s comme ennemi-e-s

La conseillère nationale Martina Bircher est une femme résolue, au tempérament bien trempé. Elle est aussi une personne influente au sein du groupe UDC. Selon Mme Bircher, il y aurait beaucoup trop de réfugié-e-s en Suisse. Cette politicienne demande donc une réforme radicale du droit d'asile. 

L’asile est un droit humain fondamental, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948. À son article 14, la Déclaration stipule que «toute personne a le droit de chercher asile et de recevoir l'asile dans d'autres pays pour échapper à la persécution».


Tout Etat qui souhaite adhérer à l'ONU doit d'abord signer et ratifier la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte des Nations unies. C'est ce qu'ont fait jusqu'à présent 193 Etats.

Dans une interview accordée à la Sonntagszeitung (20 novembre), Martina Bircher ne dit pas quelles «réformes fondamentales» du droit d’asile elle entend précisément imposer avec ses collègues de l'UDC. Elle déposera ses motions et initiatives parlementaires sur la question lors de la prochaine session d'hiver. Mais Mme Bircher n’hésite pas à déclarer: «La Convention des droits de l'homme et la Convention de Genève relative au statut des réfugiés [le traité visant à protéger les personnes ayant fui leur pays, basé sur la Déclaration universelle des droits de l'homme] sont obsolètes. Comme toute autre loi, elles doivent être réformées de temps en temps.»

Cette phrase de la politicienne UDC est porteuse d’un terrible danger. La Déclaration universelle des droits de l'homme est en effet un acquis de la civilisation. Elle prime sur toute législation nationale, car les droits de l'homme sont intemporels. Sans eux, aucune société pacifique n'est possible sur notre planète.

Selon le Secrétariat d'Etat aux migrations, notre pays accueille aujourd'hui près de 119'000 réfugié-e-s. Il faut exclure de ce chiffre quelque 63'600 Ukrainien-ne-s qui ont obtenu jusqu'en mars 2023 le statut spécial S, les dispensant d'une procédure d'asile individuelle. Il reste donc environ 56'000 personnes en quête de protection dans notre pays de près de 8,7 millions d'habitants. Une proportion infime, mais qui représente une horreur pour Mme Bircher.

La politique d’asile helvétique est, depuis longtemps, une honte pour notre pays. Depuis 2009, la Suisse est membre de Frontex, la police de protection de la forteresse Europe, dotée de moyens militaires. Cette force comprend également des douaniers-ères et des policiers-ères helvétiques – des hommes et des femmes qui participent jour et nuit à l'expulsion des réfugié-e-s par la force. Objectif: empêcher ces personnes en détresse de déposer une demande d'asile dans un pays de l'Union européenne, ou en Suisse. Le Conseil fédéral y met le prix. Cette année, il a augmenté sa contribution à Frontex, qui est passée de 14 à 61 millions de francs par an.

Martina Bircher se trompe. Le droit humain à l’asile n’est pas «daté». Il est juste foulé aux pieds par les dirigeant-e-s de l’Union européenne et le Conseil fédéral. En démocratie, nous ne sommes cependant jamais impuissant-e-s. Nous devons nous battre pour que la politique suisse en matière de réfugié-e-s soit améliorée de manière radicale – et rapidement.


Sociologue, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.

Paru dans Services Publics n° 20, 16 décembre 2022