Les bourreaux de Téhéran

La scène se passe à Evin, la plus grande prison d’Iran, située dans la périphérie nord de Téhéran. Le jeudi 8 décembre, à cinq heures du matin. À l’aube, le ciel est blafard.

Le gibet est dressé dans la cour intérieure de la prison. Les gardes poussent l’étudiant Mohsen Shekari hors de sa cellule. Ce jeune homme de 23 ans est menotté. La semaine précédente, il a été condamné à mort par un «tribunal spécial» pour «corruption, crime contre la sécurité de l’Etat, propagande antigouvernementale et insulte au Prophète». Mais son véritable délit est tout autre: avec quelques dizaines de camarades d’études, il a bloqué une des rues principales du centre de Téhéran.

Mohsen Shekari a été un des premiers révolutionnaires exécutés depuis le début du soulèvement pacifique et démocratique en Iran, il y a quatre mois. Des centaines de manifestant-e-s arrêté-e-s, dont beaucoup de mineur-e-s, risquent la mort par pendaison.

Tous les groupes ethniques du pays participent à la protestation contre le régime meurtrier des mollahs. Les manifestations ont été initiées et sont menées principalement par des femmes. Celles-ci demandent le respect de la liberté d’opinion, la séparation de l’Etat et de la religion, le respect des droits humains, l’abolition de la peine de mort et de la torture.

La répression est horrible. Selon Amnesty International, les assassins complices des mollahs ont déjà abattu plus de 700 personnes dans la rue, dont 87 enfants [1]. Jusqu’à présent, plus de 30'000 manifestant-e-s auraient été arrêté-e-s; un grand nombre d’entre elles et eux auraient été cruellement torturés. Le régime organise même le vol des corps dans les hôpitaux, afin d’empêcher que les rites funéraires, qui sont des actes très importants dans l’Iran chiite, donnent lieu à des marches de protestation.

Ces révolutionnaires qui bravent la mort méritent notre admiration et notre solidarité active. Ces personnes luttent, souffrent et meurent pour la liberté et les droits démocratiques, en faveur de tous les peuples. Le fait qu’elles soient prêtes à se sacrifier est la preuve de l’invincibilité de l’esprit humain.

Amnesty International qualifie la répression des mollahs de «crime permanent contre l’humanité» et exige que l’on extrade les responsables et les livre à la Cour pénale internationale.

Le 24 novembre dernier, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU s’est réuni en session spéciale à Genève. Alors que six pays ont voté contre – dont la Chine et la Russie – et seize autres se sont abstenus, une majorité des quarante-sept Etats membres ont condamné les meurtres des mollahs et mis sur pied une commission internationale chargée d’enquêter sur les crimes de l’Etat iranien.

Cette question a également fait l’objet de vifs débats au sein du Conseil fédéral. Par le biais de sa politique de bons offices, la Suisse représente en effet les intérêts des Etats-Unis en Iran, et ceux de l’Iran aux Etats-Unis. Pour cette raison, certains diplomates helvétiques ont conseillé à l’exécutif d’adopter une attitude de silence absolu dans cette affaire. Finalement, c’est la raison qui l’a emporté: la Suisse a signé, elle aussi, la résolution de l’ONU et voté en faveur de la mise sur pied de la commission d’enquête.

C'est une bonne chose.


Sociologue, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.

Paru dans Services Publics n° 2, 3 février 2023