Quelque 700 000 personnes, Suisses et migrant-e-s, sont contraintes de vivre en dessous du minimum vital dans notre pays. Elles dépendent de l’aide sociale. Elles sont – selon l’expression populaire – «dans le besoin».
Insuffisant
La grande majorité d’entre eux-elles travaillent du mieux qu’ils-elles peuvent. Mais le salaire est totalement insuffisant. La majorité des «pauvres» sont des femmes, plus précisément des mères célibataires. Le nombre de personnes dépendantes de l’aide sociale augmente d’année en année. Il en va de même des disparités de fortune. L’inégalité des revenus s’accompagne d’une augmentation de l’inégalité de la fortune. Un exemple: en 2003, 3% des contribuables possédaient la moitié de la fortune totale. En 2019, ils-elles n’étaient plus que 1,6%. Cela signifie qu’en Suisse, 1,6% des personnes possèdent aujourd’hui autant que les 98,4% restants réunis.
Au vu de l’augmentation fulgurante de la pauvreté, Caritas estime à 1 340 000 le nombre de personnes «menacées de pauvreté». Une famille de quatre membres touchés par la pauvreté dispose de 4010 francs par mois.
Impressionnant
Le photographe et auteur Klaus Petrus donne un visage aux personnes touchées par la pauvreté dans son livre impressionnant Am Rand (En marge).
Il raconte les histoires de gens en marge de la société (éditions Merian). Par exemple de cette retraitée qui doit mendier et qui tente de rester invisible. En Suisse, plus de 300'000 personnes à l’âge de la retraite vivent dans la pauvreté. Pour les personnes seules, le seuil de pauvreté est fixé à un revenu mensuel de 2284 francs. Une personne sur sept de plus de 65 ans est en dessous de ce seuil. Plus de 17,7% des femmes et 9,9% des hommes de plus de 65 ans sont en dessous du seuil de pauvreté.
La situation est absurde. Prenons l’exemple de Genève, le canton le plus riche après Zurich, avec 15 milliardaires et de nombreux-euses millionnaires. Ici, 2% de la population possèdent 63% des actifs. Parallèlement, un peu plus de 70'000 habitant-e-s sont «dans le besoin». Cela signifie qu’ils ne survivent que grâce aux prestations sociales: prestations complémentaires à l’AVS, subventions au logement, aide sociale et autres. 140 000 habitant-e-s reçoivent des subventions pour le paiement de leurs primes d’assurance-maladie. Dans aucun canton les inégalités sociales ne sont aussi graves qu’à Genève.
Scandaleux
Celui qui ne survit que grâce à l’aide sociale doit renoncer à beaucoup de choses: à Genève, 18% de la population ne va pas chez le dentiste. Sans parler des vacances, des sorties au restaurant, des activités culturelles, etc.
Selon les statistiques de la Banque mondiale, la Suisse est le deuxième pays le plus riche du monde, derrière le Koweït, si l’on se base sur la richesse moyenne par habitant-e. Qu’une telle pauvreté règne chez nous est une honte scandaleuse.
Sociologue, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.
Paru dans Services Publics n° 9, 16 août 2024. Retrouvez les autres billets de Jean Ziegler sur www.ssp-vpod.ch/la-suisse-existe.