Depuis le 24 février 2022, date à laquelle Vladimir Poutine a envoyé ses hordes contre l’Ukraine, un Etat souverain membre de l’ONU, plusieurs dizaines de milliers de jeunes soldats russes et ukrainiens, plusieurs centaines de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes ukrainiens ont été tués, blessés, torturés et poussés à l’exil.
Il est peu probable que Poutine revienne subitement à la raison et qu’il accepte des négociations sensées sur un cessez-le-feu. Lors de la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2009), Poutine a laissé tuer près de la moitié de la population tchétchène et fait raser la capitale Grozny. En 2011, le peuple syrien s’est soulevé contre Bachar al-Asad, le tyran sanguinaire. Les bombardements de l’aviation russe sur les hôpitaux, les écoles et les quartiers résidentiels ont permis à Asad de survivre provisoirement.
Le maître du Kremlin ne connaît que la paix des cimetières. Où trouver alors de l’espoir? Dans l’impressionnante résistance et le courage presque inimaginable des Ukrainiennes et Ukrainiens. Ce n’est que lorsque l’armée ukrainienne vaincra l’envahisseur sur le champ de bataille que le gouvernement démocratiquement élu de Kiev pourra entamer des négociations de cessez-le-feu et de paix. La décision sur le moment de ces négociations et les conditions concrètes qui doivent être remplies pour aller dans ce sens appartient au peuple ukrainien.
Qu’est-ce que cela implique pour la Suisse? Comme toutes les démocraties occidentales, notre pays doit apporter une aide aussi efficace que possible à l’Ukraine.
En 2021, 80% du pétrole russe a été négocié par le biais de la place financière suisse, en particulier via Genève et Zoug. Le Conseil fédéral doit stopper ce commerce, confisquer les fonds des oligarques et les exproprier – après avoir procédé à une réforme de la législation en la matière. Les entreprises suisses doivent quitter la Russie et les sanctions décidées par l’Union européenne doivent être appliquées par le Conseil fédéral, immédiatement et sans exception.
Et notre neutralité? Depuis le 1er janvier dernier, la Suisse est membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Le 8 février, l’organe exécutif de l’ONU a tenu sa troisième session spéciale sur l’agression russe.
La socialiste bâloise Pascale Baeriswyl, intelligente et très compétente, est Cheffe de la mission permanente de la Suisse auprès de l’ONU à New-York. Selon le procès-verbal de la séance, elle a voté en faveur de la résolution condamnant les atrocités de guerre russes.
La représentante suisse au siège des Nations unies a déclaré textuellement: «La neutralité de la Suisse ne fait aucun doute. Il n’y a pas de neutralité en cas de violation du droit international ou de la Charte de l’ONU». Les ambassadrices et ambassadeurs ont un mandat impératif. Ils ne parlent et ne votent pas selon leur propre volonté, mais suivent les directives de leur gouvernement.
Conclusion: depuis le 9 février, la question de la neutralité est tranchée. Il n’y a pas de neutralité en cas de violations des droits humains et de guerres d’agression.
Sociologue, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler est aussi auteur de nombreux livres, entre autres: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu'elle en verra la fin), Seuil, 2018, et Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020.
Paru dans Services Publics n° 6, 6 avril 2023. Retrouvez les autres billets de Jean Ziegler sur www.ssp-vpod.ch/la-suisse-existe.