Cet arrêt – s’il n’est pas cassé par le Tribunal fédéral – est une victoire d’étape, même si la portée de la loi est limitée aux chantiers menés pour le compte d’une entité publique. D’autres cantons pourraient emboîter le pas à Genève. En effet, la majorité pro-patrons qui sévit à Berne ne permet pas de répondre efficacement à la sous-enchère. L’affaire Uber en atteste: la semaine dernière, le Conseil national a refusé de donner suite à une proposition visant à assurer aux salarié-e-s des plateformes numériques un cadre légal similaire à celui envisagée par la Commission européenne.
Comme il en a été pour le salaire minimum, les cantons restent compétents pour adopter des mesures à caractère social. C’est ainsi que, après le rejet de l’initiative en faveur d’un salaire minimum suisse, Neuchâtel, Genève et le Tessin ont mis en place des salaires minimaux cantonaux. D’autres cantons pourraient donc travailler à des mesures similaires à celles adoptées à Genève pour restreindre le travail temporaire, dans les secteurs où les patrons recourent fréquemment aux sociétés d’intérim. C’est le cas de la construction, mais aussi des hôpitaux, des EMS et des soins à domicile – où le travail intérimaire ne sert pas seulement à remplacer des absences subites, mais prend des dimensions quasi-systémiques.
Dans ces secteurs, l’emploi de temporaires permet également de contourner les statuts de la fonction publique qui prévalent, par exemple, au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et de l’Imad (soins à domicile), au CHUV ou à l’Hôpital fribourgeois (HFR). Le travail intérimaire est un instrument managérial redoutable, qui permet d’exercer une forte pression sur les salarié-e-s, plongé-e-s dans l’incertitude sur leur devenir au sein de l’entreprise. Les intérimaires doivent sans cesse être disponibles pour parvenir à boucler leurs fins de mois et éviter le risque de ne pas être rappelé-e-s. Le travail temporaire permet aussi aux directions de faire des économies en maintenant un flux tendu dans les services. L’intérimaire ne vient – et n’est payé-e – que lorsqu’il y a du travail. L’employeur économise aussi des cotisations sociales dues aux caisses de pension publiques, souvent plus élevées que celles d’Adecco et consorts.
Le statut de travailleur-euse temporaire ne nuit pas seulement à celles et ceux qui y sont soumis-e-s. Il participe également à générer une surcharge de travail et du stress supplémentaire pour le personnel fixe, qui doit les former à des procédures et les accompagner dans des services qu’elles et ils ne connaissent pas ou mal. Le recours à ce statut précaire est aussi une menace sur la qualité des soins, donc sur la santé et la sécurité des patient-e-s. Des soignant-e-s de l’HFR, soutenu-e-s par le SSP, se sont récemment mobilisé-e-s pour dénoncer cette précarité ainsi que ses conséquences sociales et sanitaires. Cette lutte a inspiré deux textes parlementaires [1] déposés en soutien au Conseil national.
Ces femmes et ces hommes montrent par leur mobilisation que l’organisation du travail est une question politique et que les conditions de travail, la santé et la sécurité des patient-e-s sont différentes facettes d’une même réalité.
Christian Dandrès, avocat
[1] www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20233292; www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20233279
Paru dans Services Publics n° 5, 24 mars 2023. Retrouvez les autres billets de Christian Dandrès sur www.ssp-vpod.ch/direct-du-droit.