Non au «Frontex helvétique»!

Le Parlement fédéral débat de la révision totale de la loi sur les douanes. Ce projet est marqué par la vision néolibérale et sécuritaire des personnalités qui l’ont porté: l’ex-conseiller fédéral (UDC) Ueli Maurer et Christian Bock, directeur de l’Administration fédérale des douanes (AFD).

Cette révision est un projet de sécurité globale. Le Conseil fédéral veut créer une véritable police fédérale aux compétences larges, disposant d’un pouvoir de contrainte extraordinaire. L’administration des douanes se verrait ainsi attribuer des tâches de sécurité publique et de traque des sans-papiers sur tout le territoire, et plus uniquement aux frontières. Les agents des douanes seraient autorisés à utiliser des moyens de contrainte dont ne dispose aucune des polices cantonales, pas même lorsqu’elles interviennent sur mandat du Ministère public. Pour accomplir ces nouvelles tâches, Christian Bock compte sur l’engagement de 4000 nouveaux agents et rêve d’un Frontex intra muros.

Les actions menées par l’AFD durant le Covid illustrent la menace que ce projet représente pour la population. Les douanes avaient alors agi dans la plus totale illégalité en fermant les frontières, y compris à des Suisses voulant rentrer au pays – un droit pourtant garanti par la Constitution. Dans la même veine, les douanes avaient mené à Genève des contrôles ciblés contre des sans-papiers, à proximité de points de distribution alimentaire ainsi qu’à la sortie de transports publics au centre-ville . L’administration a indiqué avoir agi dans le cadre d’un accord de coopération avec le Conseil d’Etat.

Après l’opération Papyrus qui avait permis la régularisation de près de 3000 personnes dont une majorité de familles avec enfants, le signal était clair. Ces actions de l’AFD remettaient aussi en cause les promesses du gouvernement cantonal aux habitants les plus précaires: l’exécutif leur avait certifié que le recours aux distributions alimentaires et à l’aide sociale durant cette période n’entraînerait ni expulsion, ni perte d’une chance d’obtenir un permis de séjour. Ce message n’a manifestement pas plu au conseiller fédéral UDC qui tenait alors le Département des finances.

Le projet de révision effraye par les pouvoirs étendus de contrainte dont disposerait l’administration des douanes: usage de l’arme de service dans des cas non prévus pour les polices cantonales; collecte et traitement de données sur l’origine ethnique, les convictions religieuses ou politiques; fouilles sans respect des règles minimales prévues dans le droit existant.

À l’opposé, le projet de révision ne remet pas en cause l’activité des ports-francs de Genève, devenus une place de négoce offshore mettant à disposition lieux d’entreposage, bureaux et salles d’exposition VIP pour œuvres d’art. La valeur des biens entreposés y atteindrait 100 milliards de francs.

La révision concoctée par l’AFD concrétise ainsi une forme de néolibéralisme autoritaire: liberté pour les plus riches de spéculer au détriment de la population; flicage et répression accrus pour les autres, en particulier pour les plus précaires.

Les cantons sont opposés à la révision de la loi, ce qui laisse une lueur d’espoir quant au sort de ce projet ultra-réactionnaire. L’alliance du PLR et de l’UDC sur la plupart des thématiques politiques doit cependant nous appeler à la vigilance. Il faut se préparer à combattre cette loi, tout comme nous avons dû combattre la modification de la loi sur le renseignement et les mesures dites «de lutte contre le terrorisme».

La répression qui s’est abattue sur les militant·es du Mormont et celles et ceux qui ont appelé à refuser l’obligation de servir montre que les droits démocratiques et les libertés fondamentales sont indispensables à tout projet d’émancipation.

Christian Dandrès, avocat


Paru dans Services Publics n° 2, 3 février 2023