LPP: Quand une arnaque en cache une autre

La prévoyance professionnelle est le terrain de jeu de quelques compagnies d’assurance vie. Le récent documentaire de Pietro Boschetti et de Claudio Tonetti (Le protokoll) présente, en partant d’un document d’archive, la stratégie de ces entreprises et de leurs actionnaires pour mettre en échec l’extension de l’AVS et pérenniser le système dit des «trois piliers». Celui-ci, d’une complexité invraisemblable, leur laisse la part du lion, ainsi qu’aux banques et autres intermédiaires financiers.

Il y a les frais de gestion du 2e pilier, qui représentent 6,8 milliards de francs par an, soit 1500 francs par assuré-e en 2020. Le documentaire s’attarde aussi sur l’opacité du système, qui a permis la disparition de 20 milliards de francs d’excédents en 2002. Dans une dépêche du 22 juin 2004, la commission de gestion du Conseil national relevait qu’elle n’avait pas pu calculer les excédents réalisés par les compagnies d’assurance et déterminer leur répartition, faute de données accessibles (!). Elle notait également que des assurances avaient utilisé les excédents pour réduire les cotisations patronales uniquement (oubliant celles des salarié-e-s).

La question des excédents a donné lieu à une décision qui lèse aujourd’hui encore les assuré-e-s auprès des institutions de prévoyance liées aux assureurs vie. Cela concerne donc plus de la moitié des assuré-e-s en Suisse, principalement celles et ceux qui travaillent dans de petites entreprises n’ayant pas de fondation autonome de prévoyance professionnelle.

Sous l’impulsion de l’ancien conseiller fédéral (PLR) Hans-Rudolf Merz, très lié aux assureurs, le Conseil fédéral avait en effet adopté une ordonnance qui attribue aux assurances 10% des excédents, compris comme intégrant les primes de risque, les frais et le produit net du capital (art. 147 OS). Cette ordonnance contrevient à l’objectif poursuivi par le Parlement, soit protéger les assuré-e-s contre les abus des assureurs vie en garantissant que 90% au moins du bénéfice revienne aux assuré-e-s.

Pour la seule assurance AXA, ce mécanisme représente 2,5 milliards de francs empochés au détriment des assuré-e-s entre 2007 et 2021. Et pendant ce temps, les rentes restent insuffisantes pour couvrir les besoins de base de plusieurs centaines de milliers de retraité-e-s.

Cette règle, dite de la «quote-part minimale» («legal quote»), prévaut encore aujourd’hui, alors que les assureurs-vie ont obtenu avec LPP 21 la baisse du taux de conversion qui conduira à des pertes de rente d’environ 15%, ainsi qu’à des augmentations de cotisations. Le vol des rentes se poursuit! Cette question doit être thématisée au cours de la campagne contre LPP 21, qui s’est ouverte avec le lancement du référendum.

Une première échéance autour aura lieu lors de la prochaine session parlementaire, avec le débat sur le projet de motion 21.4572. Ce texte demande au Conseil fédéral de mettre fin à l’escroquerie de la «quote-part minimale», afin que les assuré-e-s puissent bénéficier des 90% du résultat net au lieu des 70% dans les faits aujourd’hui, en raison du système de calcul imposé par le Conseil fédéral au profit des compagnies d’assurance.

Christian Dandrès, avocat


Paru dans Services Publics n° 7, 28 avril 2023. Retrouvez les autres billets de Christian Dandrès sur www.ssp-vpod.ch/direct-du-droit.