C’est la réponse de la droite patronale à la mise en place de salaires minimaux cantonaux à Neuchâtel et à Genève. Cette proposition a été déposée en décembre 2020, un mois après l’entrée en vigueur du salaire minimum genevois.
Que propose cette motion? M. Ettlin veut faire primer les salaires des conventions collectives de travail étendues par décision du Conseil fédéral sur les salaires minimaux cantonaux.
Les salaires minimaux sont des planchers sociaux qui empêchent les employeurs d’imposer des revenus trop bas, interdisant ainsi à des centaines de milliers de salariés de vivre dignement. Or M. Ettlin veut imposer la loi du dumping sur tout le territoire. Objectif: que les employeurs puissent continuer à peser sur les travailleuses et travailleurs les plus exposés à la concurrence, notamment celle des frontaliers – étrangers ou suisses. Dans les cantons frontaliers, il est en effet possible d’imposer des salaires insuffisants pour vivre en Suisse si le travailleur est domicilié en France voisine. La différence de salaire entre la Suisse et la France ainsi que le montant des minima sociaux permettent aux employeurs d’engager bon marché: il vaut en effet mieux travailler en Suisse pour 2500 francs mensuels que de toucher le revenu de solidarité active (RSA) en France (598 euros par mois). Précisons cependant que la sous-enchère ne concerne de loin pas que les cantons frontaliers!
Comble du cynisme, M. Ettlin veut utiliser les mesures dites «d’accompagnement à la libre-circulation des personnes» pour casser les efforts des cantons contre le dumping salarial. L’extension d’une CCT a pour but de protéger les salariés des entreprises dont les travailleurs ne sont pas couverts par les salaires planchers prévus par certaines conventions. La loi actuelle prévoit cependant que ces minima n’écrasent pas des conventions ou des règles plus favorables aux salariés. Le but de l’extension est d’atténuer la sous-enchère, en aucun cas de la créer ou de l’aggraver en imposant des salaires plus bas que les minimums sociaux!
Les enjeux sont clairs. Avec l’inflation et la récession annoncée, le patronat veut enfoncer le clou et péjorer un peu plus encore les conditions de travail des salariés parmi les plus précaires. La motion Ettlin s’inscrit dans une batterie d’autres propositions visant à casser les solidarités, à favoriser l’accaparement par les employeurs et les actionnaires de la valeur créée par les travailleurs, et à augmenter le temps de labeur. Il s’agit d’AVS 21, de LPP 21, de l’initiative sur les rentes (qui augmenterait l’âge de la retraite à 67 ans, puis lierait celui-ci à l’espérance de vie), mais aussi de la proposition visant à déplafonner les heures hebdomadaires de travail. Pour ce dernier exemple, la droite prend prétexte du risque de blackout électrique. Dans le même ordre d’idées, le PLR propose de donner un statut légal à l’uberisation du travail!
Si la motion Ettlin passait la rampe au Parlement, les syndicats signataires des CCT visées devraient réfléchir à revoir le contenu de ces conventions. Objectif: ne pas appliquer à Neuchâtel et à Genève les dispositions contraires aux salaires minimaux de ces cantons. Plus fondamentalement, ces attaques appellent une mobilisation nationale de même ampleur que celle menée en Suisse romande contre AVS 21. Une mobilisation qui mette à son centre la question sociale et remette en cause l’exploitation d’une partie de la population par une autre.
Les disparités sociales explosent en Suisse. Tandis que les actionnaires s’apprêtent à toucher 46 milliards de dividendes cette année, 8,5% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et 10% supplémentaire touchent un revenu correspondant au minimum vital élargi. Il est temps de réagir!
Christian Dandrès, avocat
Paru dans Services Publics n° 17, 4 novembre 2022