Le Conseil national vient d’adopter une proposition d’allocation de garde pour les parents qui ont recours à une structure d’accueil de jour. Le débat n’est pas terminé, mais les contours de ce projet se précisent. Saluée à gauche, l’allocation est présentée comme un pas en avant et un effort de financement en faveur des parents. Or ce qui se passe est fondamentalement un désengagement de la Confédération. Mais pas seulement: le mode de financement de l’accueil de jour sera profondément restructuré. Avec l’allocation de garde, on passe d’un modèle de financement des structures à un modèle de financement des usagers·ères. Loin d’être anodin, ce changement de perspective n’est pas du tout débattu.
Rappel
La Confédération a mis sur pied en 2003 un programme d’impulsion en faveur de la création de nouvelles places d’accueil. Ce programme a permis de financer près de 80 000 places d’accueil dans le secteur de la petite enfance et dans le parascolaire. Malgré ce succès, la Confédération a décidé de ne pas renouveler ce financement au-delà de 2026. La fin du programme d’impulsion figurait d’ailleurs dans la première version du rapport Gaillard sous le chapitre des mesures visant à clarifier la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, avec un potentiel d’économies de 811 millions de francs en 2027 [1].
Désengagement
Ainsi, loin d’être un investissement, l’allocation de garde permet à la Confédération de se désengager et d’économiser plus de 600 millions de francs. En effet l’allocation de garde serait financée sur le modèle de l’allocation familiale, soit par une cotisation prélevée sur la masse salariale et non plus par le budget de la Confédération. Pour garder un semblant d’engagement, le projet prévoit une aide de la Confédération d’au maximum 200 millions de francs sur une période de quatre ans pour financer le développement de l’offre d’accueil, notamment pour les enfants en situation de handicap. Ce montant est contesté par la droite et sera probablement réduit pour éliminer les dernières divergences entre les deux chambres.
Au rabais
Le montant de l’allocation de garde sera au maximum de 500 francs par mois, si l’enfant est pris en charge à plein temps, et cela, uniquement pour les enfants de moins de 8 ans. Pour les enfants en situation de handicap, ce sera un peu plus, mais on ne sait pas combien. Or, le coût d’une place d’accueil se situe dans une fourchette de 1600 à 3000 francs par mois, le montant étant très variable selon les cantons, le type de structure, l’âge de l’enfant.
À l’envers d’un service public
Ce montant serait versé directement aux parents et non plus sous forme de subvention aux structures d’accueil. Ce modèle de financement, qui existe déjà ailleurs, porte avec lui une conception marchande de l’accueil de l’enfance qui va de pair avec un système d’accueil privatisé. L’idée de base de donner le choix aux parents de placer l’enfant dans la structure de leur choix implique, à terme, une mise en concurrence des structures pour attirer les parents. Certes, avec la pénurie des places – du moins en Suisse romande, car en Suisse alémanique, les structures sont déjà confrontées à un manque d’enfants [2] –, ce scénario semble abstrait. Mais le changement de logique pourrait favoriser l’émergence du secteur privé. Et si on regarde ce qui se passe lorsqu’on privatise l’accueil de l’enfance, il y a de quoi se faire du souci. En France, un livre a récemment dénoncé une augmentation des cas de maltraitance en crèche pour des motifs de rentabilité [3].
Davantage de moyens
Le SSP plaide depuis des années pour un service public de l’enfance, financé par l’impôt comme l’école, garantissant un accueil de qualité et de bonnes conditions de travail. Car, aujourd’hui, le secteur de l’enfance est sous-doté. Il y a quelques semaines, un reportage de la RTS alertait d’ailleurs sur la hausse du nombre de signalements de maltraitance ou de négligence, qui a quasiment triplé entre 2018 et 2024 [4].
L’allocation de garde risque de péjorer une situation déjà alarmante. Pour le SSP, la Confédération devrait investir davantage de moyens et non pas chercher des échappatoires pour se désinvestir.
[1] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/89486.pdf
[2] RTS, 19h30, 28 avril 2025.
[3] Voir l’enquête de Victor Castanet, Les Ogres: révélations sur le système qui maltraite nos bébés, Éditions Flammarion, 2024.
[4] «Crèches romandes: des signalement en forte hausse», RTS, Mise au Point, 6 avril 2025.