Le Conseil fédéral a présenté le résultat des discussions entre ses négociateurs·trices et la Commission européenne. C’est la voie bilatérale par paquets d’accords qui a été choisie au lieu d’un accord-cadre. Le Conseil fédéral avait pourtant refusé cette approche en 2021.
Libéralisation du marché de l’électricité
Un nouvel accord est proposé concernant le marché de l’électricité. Avec la question des salaires, il est le principal enjeu pour la majorité de la population. Le Conseil fédéral veut libéraliser le secteur de l’électricité et ainsi créer un espace de profits pour les entreprises privées. Cet accord entraînerait la fin du régime de protection des prix pour les petit·e·s consommateurs·trices.
Il s’agit d’un coup de force. En 2002, les syndicats avaient combattu cette libéralisation et gagné cette bataille référendaire.
Cela a permis à la population d’échapper à des hausses massives de prix. Durant la dernière décennie en France, les prix de l’électricité ont doublé et plongé des millions de personnes dans la précarité. Un tiers des Français·es a souffert du froid durant l’hiver 2023-2024. Autre exemple, la très libérale commune de Saint-Prex (VD) avait opté pour le libre marché et vu le prix du kilowattheure passer de 5 à 30 centimes.
La position du Conseil fédéral est d’autant plus scandaleuse que, l’année dernière, il avait pris acte du refus du Parlement de libéraliser le secteur dans le but de réaliser la transition énergétique. Cette ligne politique a été acceptée par une majorité de votant·e·s (68%) lors du scrutin de juin 2024 sur la Loi pour l’approvisionnement en électricité.
Le Conseil fédéral a conscience que la population va sans doute refuser cet accord en votation populaire. Il propose en effet que celui-ci fasse l’objet d’un paquet séparé. Son rejet ne mettrait ainsi pas en péril les autres accords.
Victoire de l’UDC
Pour la libre circulation des personnes, le Conseil fédéral a repris la position de l’UDC et obtenu de l’UE une clause dite de «sauvegarde». C’est en ces termes fallacieux qu’il nomme une mesure très hypothétique mais foncièrement xénophobe.
Rien en revanche pour la protection des salaires. Le Conseil fédéral a même accepté de raboter la protection existante pour les travailleurs·euses de l’UE détaché·e·s en Suisse. Le délai d’annonce préalable a été réduit de huit à quatre jours tandis que les frais (logement, repas) seront ceux du pays de détachement et non pas du lieu de travail. Or, le·la travailleur·euse polonais·e détaché·e à Genève ne pourra pas trouver de solution de logement en étant défrayé·e comme s’il·elle séjournait en Pologne. Il·elle risque fort d’être logé·e dans des conditions indignes, en baraquement ou par des marchands de sommeil.
Les ultralibéraux·ales de l’UDC ont donc obtenu le plein de leurs revendications ainsi que le soutien politique du Conseil fédéral à leur idée maîtresse: l’immigration serait un péril pour la Suisse et serait responsable de tous les maux. Les partis de droite traditionnelle font un pas de plus après 2015. Lors des élections fédérales, cette année-là, ils avaient en effet déjà repris la préférence nationale.
Droits sociaux absents
Cette dynamique induit une course à la sous-enchère sociale et salariale qui explique pour partie le contexte social vingt ans après les Bilatérales II. Il n’est pas possible de se borner à une comparaison de textes. C’est le bilan de ces deux décennies qui s’impose, avec son cortège d’explosion des inégalités, de blocage, voire de recul, des salaires réels dans un contexte de croissance et de progrès constant de la productivité du travail. Limiter la question au seul détachement des travailleurs·euses – à peine 0,3% des salarié·e·s – est une tartufferie.
Le patronat peut puiser dans un bassin de travailleurs·euses à l’échelle d’un continent, dans le contexte suisse d’absence quasi totale de droit du travail. Il y a tellement d’exceptions dans la loi que les employeurs ne peuvent même pas toutes les utiliser. Il n’existe par ailleurs pas de protection contre les licenciements ni de droit à la réintégration. La concurrence s’est également accrue avec la dégradation de la situation sociale de certaines régions de l’UE. Le taux de chômage dépasse par exemple 11% en Espagne.
Cette politique sert les employeurs qui ont annoncé s’opposer fermement à toute avancée des droits sociaux, en particulier en matière de protection contre le licenciement. Ils savent parfaitement que l’absence de droits des salarié·e·s les empêche de négocier des augmentations de salaire et des améliorations de leurs conditions de travail.
Les syndicats doivent adresser un message de solidarité avec les travailleurs·euses, quels que soient leur statut de séjour et leur nationalité. Ils doivent fermement refuser les Bilatérales III si ces accords ne sont pas liés à des droits sociaux en Suisse.
Besoin de droits sociaux!
Contrairement à ce qui se pratique dans l’UE, le contrat à durée indéterminée ne représente pas en Suisse une véritable protection. Il n’est en effet pas nécessaire de justifier un licenciement pour qu’il soit valable, il suffit de respecter le préavis de un à trois mois. Or, malgré cela, le nombre de contrats précaires a doublé: travail intérimaire, travail sur appel, pseudo-indépendant·e·s, etc. En 2021, 435 000 salarié·e·s étaient en intérim.
Les conventions collectives de travail (CCT) ne compensent pas ces failles. Peu d’informations sont disponibles sur les plus grandes CCT. Par exemple, pour connaître l’évolution réelle des salaires dans le secteur couvert par la CCT de l’hôtellerie-restauration, il faut procéder par enquêtes auprès des salarié·e·s. Celles-ci montrent qu’en 2023 et 2024, 65% des travailleurs·euses n’ont pas bénéficié d’augmentation malgré la pénurie de main-d’œuvre.
Beaucoup de CCT se résument à la répétition du Code des obligations. D’autres ne couvrent qu’une partie seulement des salarié·e·s puisqu’elles ne s’appliquent pas aux CDD, aux intérimaires et aux sous-traitant·e·s. Beaucoup de CCT ont des paliers de salaires si bas qu’elles ne protègent pas les salarié·e·s contre la sous-enchère. La hausse des salaires minimaux de ces CCT n’a aucun impact sur les salaires effectifs. En réalité, ces grilles salariales font peser une menace sur les personnes concernées. Leurs planchers sont d’ailleurs instrumentalisés par l’Assemblée fédérale (Ettlin) pour contourner les salaires minimaux cantonaux.
Lorsque des protections existent, elles ne donnent pas un droit à l’adaptation du salaire au renchérissement. Pour les CCT de secteur, les négociations salariales se font parfois entreprise par entreprise.
Nos tâches sont immenses, à commencer par réclamer que la poursuite de la voie bilatérale s’accompagne de la mise en place en Suisse d’une protection au moins équivalente à celle en vigueur dans les pays voisins. Dans la mesure où l’Organisation internationale du travail considère également que la Confédération ne respecte pas la liberté syndicale, il s’agit là d’une revendication élémentaire.
Pour l’ensemble des salarié·e·s
Les rapports de travail sont au cœur du débat. Ils reposent sur un système (juridique, social, idéologique, migratoire, etc.). Ils utilisent la dépendance salarié·e·s/employeurs et le ressort de la mise en concurrence des travailleurs·euses.
Dépendance financière, tout d’abord. Sans travail, pas de revenus ou alors des indemnités dites «incitatives» (chômage). La pression sur les chômeurs·euses est grande. Sur les centaines de pages de directives du Seco, une bonne part se concentre sur les sanctions et l’exclusion des assuré·e·s de leurs droits au chômage. Le·la chômeur·euse doit s’adapter à la demande des employeurs, s’il·elle ne veut pas être sanctionné·e ou perdre ses droits.
Dépendance liée au permis de séjour, ensuite. Sans contrat de travail, pas de droit de rester pour de nombreux·euses travailleurs·euses sans la nationalité suisse.
La libre circulation des personnes est une avancée qu’il faut défendre, mais elle reste limitée aux ressortissant·e·s de l’UE. Elle n’a cependant pas supprimé la dépendance. Le statut de frontalier·ère et les permis de courte durée concernent 18% de la population active. Le gap entre le coût de la vie dans la région frontalière et les salaires qui y sont pratiqués renforce la dépendance. En cas de licenciement, le frontalier ne touche que 57% de son salaire. Ce pourcentage a bien failli être divisé par 2 et aurait supprimé toute capacité des 230 000 frontaliers·ères français·es à faire respecter ou négocier leurs salaires et conditions de travail. L’absence de protection contre le licenciement rend déjà cette tâche suffisamment ardue.
Celles et ceux qui ne bénéficient pas de la libre circulation et n’ont pas de permis de séjour sont au bout de la chaîne d’exploitation. Entre 60 000 et 100 000 travailleurs·euses sans-papiers vivent en Suisse. Elles et ils n’ont droit à rien et travaillent pour un plein temps bien plus de 40 heures par semaine. Leur salaire varie entre 1000 et 2000 francs par mois. Les attaques brutales de l’UDC sur les droits des étrangers·ères – reprises par le PLR et Le Centre – fragilisent ces salarié·e·s et favorisent la sous-enchère pour toutes et tous.
C’est pourquoi défendre le droit de rester est au cœur de l’action syndicale. Nous revendiquons des droits sociaux pour protéger tou·te·s les travailleurs·euses.