Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter?
Lou – Je m’appelle Lou, j’ai 22 ans, je suis maman d’un petit garçon de 7 mois et je suis en dernière année de Bachelor en psychologie à l’Université de Lausanne. Mon fils Maël est né alors que j’étais en deuxième année.
Dominique – Je m’appelle Dominique, j’ai 51 ans, je suis mère de deux jeunes adultes de 21 et 25 ans qui vivent avec moi et sont étudiant·e·s. J’ai repris des études il y a cinq ans et je suis un cursus de sciences sociales à temps partiel à l’Université de Lausanne en poursuivant une activité professionnelle. Cela veut dire que je fais un Bachelor en six ans au lieu de trois, tout en travaillant à 50% en tant que chargée de projets.
Quels sont les défis dans la conciliation entre vie familiale et les études?
Dominique – Il y a vingt ans, je m’étais immatriculée à l’Université de Lausanne, mes enfants avaient 1 et 5 ans et j’étais maman solo. Comme je revenais du canton de Fribourg, je n’étais pas éligible pour une bourse vaudoise et il n’y avait pas de place en crèche à l’Université. J’ai donc dû m’exmatriculer avant même de commencer mes études. Ce n’est que quinze ans plus tard que j’ai pu réactiver ce projet d’études.
En vingt ans, il me semble que très peu e progrès ont été accomplis. Il y a certes plus de places potentielles en garderie, mais, hormis cela, il n’y a pas d’autres aménagements. Vu l’âge de mes enfants, je ne suis plus concernée par cette problématique, mais il reste les tâches ménagères, le soutien aux études de mes enfants et mon activité professionnelle en plus du travail académique. Selon l’Office fédéral de la statistique 1, les étudiant·e·s avec charge familiale travaillent au total 65 heures par semaine, soit 15 heures de plus que les étudiant·e·s sans enfants.
Ils·elles doivent donc diminuer le temps consacré aux études pour assumer leurs tâches familiales et domestiques.
Lou – J’ai commencé des études de psychologie en 2022 et je suis devenue maman en juillet dernier. Je vis avec ma mère et mon compagnon – le papa de Maël – qui m’aident tous deux beaucoup (j’ai fait une demande de bourse en août, mais je n’ai pas reçu de réponse, tout comme ma demande de subsides n’a toujours pas été traitée à l’heure actuelle).
J’ai fait une demande de place à la crèche de l’Université dès mon 4e mois de grossesse (on ne peut pas le faire plus tôt selon le règlement) et je viens de recevoir une réponse en février, donc onze mois plus tard.
Je poursuis mes études, mais j’ai moins de temps à y consacrer vu que je dois aussi m’occuper de mon fils. Je travaille mes cours pendant le week-end car ma mère peut alors m’aider (elle travaille pendant la semaine). À la rentrée de septembre, j’ai repris les cours alors que mon fils avait 1 mois et demi et j’ai vite vu que j’étais livrée à moi-même et que j’allais devoir bricoler. J’ai demandé à pouvoir le prendre avec moi pendant les cours, mais les responsables m’ont répondu que ce n’était pas possible car cela allait déranger les autres étudiant·e·s. Or, cette interdiction n’est mentionnée dans aucun règlement. J’ai donc pris la décision de m’adresser directement aux profs, certain·e·s m’ont dit oui, d’autres non. Il n’en reste pas moins que j’ai pu aller aux cours un jour par semaine avec mon fils sans que cela ne dérange les autres étudiant·e·s (j’ai plutôt été encouragée). Pour les autres jours de cours, je devais lire les notes prises par des ami·e·s puisque je ne pouvais pas m’y rendre. Il y a des cours avec présence obligatoire que l’on ne peut pas manquer sans justificatif.
Or, l’absence de moyen de garde n’est pas considérée comme un motif d’absence valable. Je me suis sentie discriminée.
Une autre difficulté que j’ai dû affronter est le fait d’allaiter mon fils. S’il y a bien des locaux d’allaitement à l’Université, j’ignore leur but vu que l’Unil refuse aux étudiantes de prendre leur bébé. J’ai dû intervenir auprès du Bureau de l’égalité pour avoir un accès à ces locaux.
Vous êtes toutes deux très impliquées dans la campagne menée par le SSP pour une réelle conciliation entre études et parentalité.
Dominique – Bien que j’aie très peu de temps, vu ma situation actuelle et mon expérience passée, je ne pouvais que m’engager dans cette campagne. J’ai participé à la récolte de signatures qui a révélé énormément de réactions de soutien. La maternité n’est pas une maladie et beaucoup pourrait être fait simplement en nous manifestant une attitude accueillante. Un exemple qui me vient à l’esprit, c’est celui des aménagements pédagogiques qui avaient été mis en place durant la pandémie, puis progressivement abandonnés, alors qu’ils pourraient constituer un élément déterminant pour favoriser la conciliation entre parentalité et études.
Parmi nos revendications, avoir une place en crèche me semble une condition sine qua non de la conciliation entre études et parentalité. Nous avons également besoin de droits acquis et unifiés qui permettent de véritablement concilier parentalité et études sans devoir faire des demandes de congés exceptionnels systématiquement.
Or, la direction de l’Unil met d’abord en avant la possibilité de s’exmatriculer, ce qui ne pousse pas à la conciliation, mais constitue au contraire souvent un préalable à l’abandon des études. Or, suivre des études supérieures permet d’avoir plus tard des salaires plus élevés, ce qui est déterminant, notamment pour les femmes. Il est donc indispensable d’éviter tous les obstacles aux études, peu importe l’âge et la situation familiale.
Lou – J’ai été informée de l’existence du collectif alors que j’étais enceinte. J’ai écrit sur des groupes WhatsApp d’étudiant·e·s pour savoir si quelqu’un avait été dans la même situation que moi et j’ai reçu plusieurs réponses qui m’ont orientée vers le collectif. Cela m’a fait comprendre que je n’étais pas seule, un sentiment qui a encore été renforcé par la dynamique du collectif.
En plus des solutions de garde et des aménagements pédagogiques, la reconnaissance automatique d’absences dues à la parentalité serait une avancée importante. J’ignore pour le moment si une maladie de mon fils sera un motif valable. Un règlement serait rassurant et éviterait des démarches coûteuses en temps, alors que la parentalité nous en laisse peu.
Question à Joséphine Schumers, étudiante à l’Université de Lausanne et membre de la Section étudiante
Comment est née la campagne en cours pour une meilleure conciliation entre études et vie de famille et quelles en ont été les étapes?
J’ai exercé durant plus de dix ans le métier d’éducatrice de la petite enfance et ai rencontré beaucoup de parents, dont certains qui reprenaient des études universitaires, dans leur grande majorité des femmes. Lorsque j’ai moi-même repris mes études, j’ai pu observer à quel point leur réalité était différente de la mienne, particulièrement en matière de charge de travail hors études. Je trouvais que ces personnes vivaient une forme de discrimination.
Préoccupée par cette situation, j’ai commencé par lancer un appel à témoignages par le biais du SSP en début d’année 2023 et ai ainsi rencontré plusieurs personnes. Cela m’a fait comprendre l’ampleur des obstacles systémiques à leur parcours universitaire. Une conclusion à laquelle je suis très vite arrivée est que ces personnes étaient renvoyées à l’idée qu’il fallait faire un choix entre les études et la maternité, alors qu’il est au contraire important de mettre sur pied des mesures pour concilier les deux.
Nous avons élaboré collectivement les revendications visant à obtenir des aménagements pour permettre de concilier études et parentalité (tout en évitant l’écueil de l’allègement des études car ce n’est pas l’objectif de la démarche). Nous nous sommes inspiré·e·s des aménagements prévus pour les employé·e·s de l’Unil, qui ont plus de droits que les parents étudiant·e·s. Sans entrer dans les détails, nous demandons entre autres la mise sur pied d’une garderie ou d’un congé parental sans exmatriculation.
Nous avons ensuite lancé notre pétition le 8 mars 2024. Elle a rencontré un bon accueil et a réuni plus de 500 signatures, ce qui est symboliquement important car ce chiffre correspond au nombre d’étudiant·e·s concerné·e·s, selon une estimation de l’Université.
Notre pétition a été remise le 4 mars dernier et nous avons pu avoir une discussion avec le Rectorat et le Bureau de l’égalité qui se sont montrés très à l’écoute (et soucieux de l’image de l’Université). Il reste que nous sommes dans l’attente de mesures concrètes et leur avons fixé un délai au mois de mai pour ce faire.