EFAS est une réforme fondamentale du financement du système de santé, imposée par le lobby des assureurs. L’objectif est de transférer la responsabilité financière des cantons vers les caisses-maladie. Les assureurs auront ainsi encore davantage de pouvoir pour orienter notre système de santé.
Redistribution des cartes du financement
La LAMal sous sa forme actuelle n’est pas satisfaisante. À la différence des autres assurances sociales, ses primes individuelles sont calculées par tête sans lien avec le revenu. Le directeur du Groupe Mutuel, qui a touché une rémunération de 780 000 francs en 2022, paye la même prime de base d’environ 500 francs que l’employée de cafétéria d’un hôpital qui gagne à plein temps 58 500 francs par an. Autres graves lacunes de la LAMal: les soins dentaires et l’assurance du salaire en cas de maladie ne font pas partie de l’assurance obligatoire. Ces deux «risques» sont donc devenus des «produits» intéressants pour les assurances complémentaires à but lucratif. En clair, la LAMal ne remplit pas pleinement sa mission d’assurance sociale. Pourtant, la révision en cours, loin de corriger ces défauts, les accentue.
Aujourd’hui, les dépenses de santé sont financées par trois canaux :
- Nos primes, encaissées par les caisses-maladie, qui représentent environ 38 milliards de francs en 2024. Elles financent l’ensemble du système mais à des niveaux différents selon le secteur concerné.
- Nos impôts, prélevés par les cantons, financent aussi les séjours dans les hôpitaux, les soins dans les EMS et à domicile. Ce financement représente environ 13 milliards de francs. Selon une étude KOF-ETH Zurich, si l’on prend en considération «la participation de l’État dans l’ensemble des dépenses de santé, la Suisse arrive en queue de peloton, puisqu’elle n’y représente qu’un peu plus de 30%. Cela correspond à environ la moitié de la moyenne de l’OCDE et à une volonté politique [1].»
- Nos participations directes. Tout·e assuré·e verse aussi une participation directement de sa poche aux dépenses de santé; elle concerne les frais de soins en EMS et à domicile, la franchise, la quote-part (les 10% facturés par les assureurs aux patient·e·s) et tous les soins non pris en charge par l’assurance-maladie. La Suisse est d’ailleurs l’un des pays où la participation directe est la plus élevée des pays de l’OCDE. Au niveau national, ces participations directes ont été chiffrées à 20 milliards de francs en 2022.
En proportion, ce ne sont pas moins de 60% des dépenses de santé qui sont financées directement par les ménages avec des primes et des participations directes.
Ces milliards ne sont pas «distribués» de manière uniforme selon qui fournit les soins. La révision EFAS est vendue comme une manière d’uniformiser le financement et de le simplifier.
Uniformisation
La clef de répartition nationale des dépenses selon EFAS sera la suivante: les caisses-maladie financeront 73,1% de l’entier des dépenses de santé, alors que les cantons financeront 26,9% des dépenses, une fois déduites les participations directes des ménages.
Cette clef nationale produit un effet de bascule dans tous les secteurs:
- Secteur hospitalier stationnaire [2]: actuellement, les cantons versent au moins 55% des dépenses, contre 45% à charge des caisses-maladie. La part des cantons chuterait donc à 26,9% avec EFAS.
- Secteur des soins de longue durée [3]: dans le régime actuel, les cantons doivent prendre en charge la «facture résiduelle», à savoir les frais de soins qui ne sont pas à la charge des assureurs, ni des résident·e·s. La facture varie assez fortement d’un canton à l’autre, mais elle représente en moyenne nationale 46%. Avec EFAS, les cantons n’assumeraient plus que 26,9% des frais.
- Secteur ambulatoire [4]: ce secteur est à la charge des assureurs dans le régime actuel et serait, avec la révision EFAS, financé aussi par l’impôt, toujours à hauteur de 26,9%.
L’obligation de faire participer les cantons aux dépenses dans l’ambulatoire est l’argument des partisan·e·s d’EFAS pour affirmer que l’augmentation des primes sera moindre grâce à cette participation par l’impôt. Du point de vue mathématique, si les soins en ambulatoire augmentent fortement, la facture, avec EFAS, sera moins lourde pour les payeurs et payeuses de primes. C’est vrai, mais la contrepartie – l’augmentation de la facture pour les caisses-maladie dans les soins de longue durée – va anéantir rapidement cet effet modérateur.
Soins aux aîné·e·s et primes
Toute l’argumentation des pro-EFAS qui glorifient le financement uniforme, censé simplifier le système, escamote un aspect décisif d’EFAS: les soins aux aîné·e·s devront être financés de manière plus importante par les caisses-maladie, via les primes. Et justement, c’est dans les soins dits de longue durée que les besoins vont augmenter en raison de l’évolution démographique et de la courbe ascendante de maladies telles que les démences. En déchargeant les cantons de l’obligation du financement résiduel dans les EMS et à domicile, EFAS les libère aussi d’une responsabilité financière et sociale qui va s’accroître si nous voulons des soins de qualité pour nos parents.
Dans tous les domaines, les caisses-maladie devront, avec nos primes, financer la plus grande partie des dépenses: inévitablement, leur poids dans le système en sera renforcé.
Quant aux assuré·e·s, patient·e·s et pensionnaires, ils et elles continueront à verser de leur poche, en plus des primes, des montants encore plus importants qu’aujourd’hui car EFAS permettra aussi d’augmenter la participation aux frais dans les EMS, lors des séjours à l’hôpital et à domicile. À noter que, début septembre 2024, le Conseil fédéral a donné son feu vert pour une hausse de la franchise minimale.
Aux origines d’EFAS et de la votation du 24 novembre
L'initiative parlementaire 09.528 de Ruth Humbel «Financement moniste des prestations de soins», a été déposée en 2009. Mme Humbel, ancienne élue du parti Le Centre, a siégé et siège au sein de conseils d’administration de caisses-maladie (Concordia) et de cliniques privées (Zurzach Care).
Le texte issu des travaux du Parlement fédéral en décembre 2023 est pire encore que le projet initial de Mme Humbel. Des représentant·e·s des cantons sont intervenu·e·s dans le débat parlementaire et ont accepté de perdre du pouvoir sur le système de santé à la condition que les caisses-maladie financent davantage qu’elles ne le font aujourd’hui les dépenses pour les soins dans les EMS et à domicile.
Cette entente entre cantons et le lobby des caisses-maladie s’est faite au détriment des assuré·e·s, des résident·e·s et des personnels de santé.
Cette révision intervient dans un domaine complexe. Le Conseil fédéral a décidé de le complexifier encore en désignant cette révision de la LAMal non pas par EFAS – l’acronyme du titre en allemand de la loi – mais par «Financement uniforme des prestations», même si les caisses-maladie utilisent encore le terme EFAS.
Les partisan·e·s comme les adversaires de la réforme s’accordent sur un point: EFAS va refaçonner en profondeur le système de santé. Cette révision est l’étape qui annonce la généralisation des réseaux de soins contraints. Un système, importé des États-Unis, dans lequel les assureurs pilotent entièrement les prises en charge des assuré·e·s à la place de médecins indépendant·e·s hors réseaux.
Parce que l’accès aux soins sans discrimination doit rester une priorité des services publics, le SSP a lancé un référendum contre cette révision de la loi fédérale sur l'assurance-maladie. Bien que cette réforme ait été présentée comme très compliquée, trop technique, les militant·e·s et secrétaires du SSP ont sillonné villes et campagnes pour permettre au référendum d’aboutir. Ainsi, 57'241 signatures ont pu être recueillies.
Cette votation donne la possibilité d’ouvrir un débat public à large échelle sur le devenir du système de santé. Une victoire dans les urnes permettra de mettre un coup d’arrêt au démantèlement du service public.
[1] KOF Bulletin, N° 161, avril 2022, «Les ménages les plus pauvres sont les plus touchés par la hausse des coûts de la santé».
[2] Tout traitement qui oblige le·la patient·e à passer la nuit à l’hôpital/clinique/maison de naissance.
[3] Les soins de longue durée comprennent les prestations de soins dispensées par les établissements médico-sociaux, les services d’aide et de soins à domicile ainsi que les professionnel·le·s de la santé indépendant·e·s.
[4] Tout traitement dans un cabinet, un hôpital, un laboratoire (radio, examens, vaccinations, interventions chirurgicales dites mineures, etc.).