Retraites: le combat continue!

de: Michela Bovolenta, secrétaire centrale SSP

Le Conseil fédéral veut économiser 880 millions de francs sur le dos des veuves. Et la majorité du Conseil national veut supprimer la rente d’enfant. Nous restons mobilisé·e·s

Eric Roset

Le débat sur l’avenir de nos retraites se poursuit de plus belle avec une droite qui reste arrogante, malgré sa cuisante défaite en mars dernier. La campagne de votation sur la réforme de la LPP, prévue en septembre, s’annonce tendue. Nous y reviendrons. En plus, le Conseil fédéral a lancé une consultation pour supprimer la rente de veuve et le Conseil national vient d’adopter une motion pour supprimer la rente d’enfant.

13e rente: pas d’échappatoire

La droite voulait manœuvrer pour retarder la mise en œuvre de la 13e rente, prétextant que le financement n’est pas tranché. Mais l’Office fédéral de la Justice a rendu un avis de droit qui dit que la 13e rente est applicable telle quelle avec une entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2026. Le débat sur le financement ne manquera pas de revenir sur la table. Mais c’est une bonne nouvelle.

Égalité pour les veufs

En 2022, à la suite du dépôt de plainte d’un père veuf, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu un arrêt qui oblige la Suisse à traiter de manière égale les veuves et les veufs, parents d’enfants.

Depuis, les veufs bénéficient de la même rente que les veuves et continuent à toucher une rente aussi une fois leurs enfants devenu·e·s adultes. Ce droit prend en compte la baisse de revenu consécutive à un veuvage et reconnaît le travail nécessaire à l’éducation des enfants. Pour nous, la révision doit se borner à ancrer cela dans la Loi sur l’AVS.

Rente de veuve sacrifiée

Le Conseil fédéral utilise l’arrêt de la CEDH pour adopter une série de mesures qui réduisent massivement le droit des veuves.

  • La rente ne serait versée qu’aux veuves et aux veufs d’enfants de moins de 25 ans. Puis elle serait supprimée, comme si on pouvait d’un coup de baguette magique rattraper le temps et le revenu perdus.
  • Les veuves et veufs, parents d’enfants de plus de 25 ans, ne toucheraient qu’une rente transitoire pendant deux ans. Pour pallier le risque élevé de pauvreté, le Conseil fédéral prévoit un droit aux prestations complémentaires pour les veuves ou les veufs, qui ont plus de 58 ans, ont eu des enfants à charge et sont dans le besoin. Le droit est remplacé par une mesure d’aide, tellement ciblée que la majorité des veuves et des veufs n’auront rien.
  • Les veuves de plus de 45 ans, mariées depuis au moins cinq ans et sans enfants ne toucheront plus rien. Or, si les inégalités qui les touchent sont moindres par rapport aux mères, ces femmes sont aussi impactées par la discrimination salariale, la moindre valorisation des métiers féminins, le plafond de verre ou le temps partiel imposé.
  • Cerise sur ce gâteau pourri: la rente serait étendue aux parents concubins. Cette idée a du positif, mais elle ouvre aussi un débat sur l’égalité entre les couples puisque les concubins bénéficient de deux rentes entières au moment de la retraite (200%), alors que la rente des couples mariés est plafonnée à 150%.

Une économie de 880 millions

Ces mesures vont permettre d’économiser 880 millions de francs, soit près de la moitié du budget actuel qui est de 1,75 milliard de francs. Il s’agit clairement d’un démantèlement qui va précariser surtout les veuves, puisque, comme l’écrit le Conseil fédéral lui-même: «les veufs se trouvent d’ordinaire dans une meilleure situation économique que les veuves. Contrairement aux hommes, les femmes ont plus tendance à travailler à temps partiel, a fortiori lorsqu’elles deviennent mères, tandis que le taux d’activité des hommes reste élevé quelle que soit leur situation familiale. Les conséquences du veuvage diffèrent ainsi entre hommes et femmes. Il a été constaté que les veuves sont plus souvent exposées à un risque de précarité financière que les veufs en âge d’exercer une activité lucrative [1]».

Nous ne pouvons que rejeter une révision qui, sous prétexte d’égalité, fait des économies sur le dos des veuves.

Une motion honteuse!

En Suisse, 31 000 enfants touchent une rente, car leur parent, dans 90% des cas leur père, est déjà à la retraite. Parmi ces enfants, 70% ont entre 16 et 25 ans et sont en formation.

Le coût est de 230 millions de francs. Pas de quoi fouetter un chat. Mais c’en est trop pour Benjamin Roduit, élu du Centre, qui, au mois de janvier, s’est fendu d’une motion pour supprimer cette rente. Dans son intervention, M. Roduit reprend la ritournelle de la campagne sur la 13e rente: il ne s’agirait pas de: «tailler dans les rentes pour enfants de retraités», mais «de prendre nos responsabilités et de faire en sorte que les aides octroyées ciblent les gens qui en ont réellement besoin» [2], en remplaçant le droit à une rente par les prestations complémentaires.

Donc en supprimant un droit universel par une prestation d’assistance, soumise à condition de ressources et qui constitue certes un filet social ultime, mais au niveau du minimum vital.

Le Conseil fédéral a proposé le rejet de la motion, car le risque de pauvreté des mineur·e·s concerné·e·s passerait de 28% à 41%. Mais la majorité de droite du Conseil national n’a rien voulu savoir. Elle est visiblement plus sensible au sort des banques qu’à celui des enfants du pays et, malgré le oui à la 13e rente, elle ne veut pas entendre le message de la majorité populaire qui veut non pas démanteler, mais consolider l’AVS.

La balle est maintenant dans le camp du Conseil des États.


[1] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/85234.
pdf, page 9

[2] Intervention de M. Roduit au Conseil national, 7 mars 2024.