Protection de l'enfance: le personnel en Suisse romande tire la sonnette d’alarme

Imagine-t-on un·e responsable politique déclarer que la protection de l'enfance n'est pas une tâche importante? Bien sûr que non. Chacun·e s'accorde à dire qu'il est prioritaire de protéger les mineurs les plus fragiles. La réalité est bien différente.

Eric Roset

Les systèmes de protection de l'enfance varient d'un canton à l'autre , mais notre syndicat constate un invariant: l'absence dramatique de moyens suffisants.

  • A Fribourg, le personnel du Service de l'enfance et de la jeunesse a fait grève durant trois jours en novembre dernier, afin que des mesures soient prises pour remédier à sa surcharge intense de travail. Quelques avancées ont été obtenues, mais ses revendications sont loin d'être satisfaites.
  • Dans le canton de Neuchâtel, la protection de l'enfance est en crise depuis plusieurs années. En mars dernier, la commission de gestion du Grand Conseil s'est montrée très critique sur la réorganisation du Service de protection de l'adulte et de la jeunesse.
  • Dans le canton de Vaud, notre syndicat a dû mener des démarches de longue haleine avant que les problèmes soient enfin reconnus. Les mesures promises ce printemps par le gouvernement pour les années à venir sont indéniablement un résultat positif, mais restent insuffisantes pour répondre à une urgence immédiate et manquent trop souvent leur cible. Le manque de consultation des professionnel·le·s et du SSP qui les représente fragilise également ces avancées.
  • A Genève, le personnel du Service de protection des mineurs se mobilise depuis des années pour des conditions de travail adéquates.

Aux pressions et à la surcharge endurées par les assistant·e·s sociaux et sociales en protection s’ajoute le manque de moyens. Qu’il s’agisse des mesures ambulatoires, visant le maintien des enfants dans leur famille et un soutien aux compétences parentales, ou des foyers qui accueillent les mineurs devant être protégés, les lieux sont saturés et les professionnel·le·s œuvrant en faveur des enfants à bout de souffle.

Les places manquent, obligeant les professionnel·le·s à trouver des solutions d’urgence ne correspondant pas nécessairement aux besoins des enfants. Les foyers d’urgence étant pleins, les hospitalisations sociales se multiplient, avec des conditions d’accueil inadéquates, particulièrement pour les plus jeunes. Finalement, les délais d’attente et le manque de personnel ont également des conséquences sur les familles et menacent les liens dont les enfants ont besoin: les espaces contacts, qui peuvent permettre à l’enfant placé de voir ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, ses grands-parents, présentent des délais d’attente pouvant atteindre, selon les cantons, quatre à neuf mois!

Le manque chronique de moyens et de ressources met en péril la qualité des suivis et l’accompagnement des jeunes. Le travail se fait dans l’urgence, sans possibilité d’anticiper les dégradations de situation, encore moins de faire de la prévention. Dans ce contexte, le risque d'issues tragiques ne peut pas être écarté. Pour les intervenant·es, cela aboutit à un épuisement professionnel et à des départs qui aggravent encore la pénurie de personnel qualifié. Rendu·e·s incapable de travailler à la réhabilitation des compétences parentales ou même d’offrir suffisamment d’attention aux enfants, faute de temps et de moyens, les professionnel·le·s, pourtant pleinement investi·e·s, font l’objet de critiques et d’attaques parfois virulentes de la part des familles et de la population, trop souvent maintenues dans l’incompréhension quant aux causes des choix de placement ou du manque de disponibilité.

Il est urgent que tous les cantons appliquent les recommandations de la Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes (COPMA), et cela indépendamment du statut de séjour des mineurs. La COPMA recommande entre 50 et 60 enfants par intervenant·e en protection de l'enfance.

En l’état, les cantons n’accordent pas les moyens permettant de protéger tous les enfants. Ce n’est pas aux travailleurs sociaux et travailleuses sociales d’assumer la responsabilité de la situation. Aujourd’hui, il faut être clair : les économies réalisées par les autorités cantonales se font au détriment du bien-être des enfants. En refusant les budgets nécessaires, les autorités ferment les yeux sur leur souffrance et laissent la voie ouverte à des violences, à des maltraitances, à des négligences et à la solitude inadmissible dans laquelle les enfants oubliés de la protection des mineurs sont enfermés.

La population et les autorités s’émeuvent lorsqu’un scandale comme celui que le Canton de Vaud a connu il y a quelques années (« Rapport Rouiller ») éclate ou lorsque la presse relaie les témoignages d’enfants ou de parents. Mais dans l’ombre de ces situations, ce sont des centaines de situations silencieuses, en Suisse romande, que l’on condamne à l’oubli.

Le Syndicat des services publics (SSP) reste mobilisé, avec les professionnel·le·s sur le terrain, pour défendre une protection des mineurs digne et respectueuse des normes et des besoins des enfants. Notre prochaine action sera une démarche de sensibilisation à Fribourg et à Bulle le 3 octobre.