Les chiffres les plus extraordinaires fusent de la bouche des partisan·e·s d’EFAS: partant d’un montant de 440 millions d’économies possibles par année articulé au conditionnel dans la brochure de votation, on passe durant cette campagne à des économies de 1 milliard, puis de 2 milliards dernièrement. Où cette surenchère s’arrêtera-t-elle? Le comité «oui au financement uniforme», qui mène la campagne en faveur d’EFAS, se lâche et va jusqu’à garantir «un potentiel global d’économies de plusieurs milliards [1]». Pour rester sur terre, intéressons-nous à l’estimation de 440 millions par année. Ce chiffre provient d’une étude de l’institut Polynomics mandatée par le Conseil fédéral. Si on prend la peine de les lire, ses conclusions sont, d’une part, pourtant nettement moins univoques puisqu’elles varient d’un «scénario pessimiste» dans lequel il n’y aurait aucune économie, et un «scénario optimiste» permettant jusqu’à 438,3 millions d’économies sur plusieurs années en comptant sur des «changements de comportements des acteurs [2]». D’autre part, face à un montant annuel des primes de l’ordre de 38 milliards de francs, les économies que le «scénario optimiste» prévoit après plusieurs années sont de l’ordre de 1,15%!
Les chiffres valsent mais ce qu’on doit retenir de tout cela, c’est que nos primes ont augmenté de 21% ces trois dernières années et que ce mouvement n’est pas près de s’arrêter avec EFAS, bien au contraire.
Virage ambulatoire miracle
Toutes les élucubrations des partisan·e·s d’EFAS reposent sur la supposée fin des «incitations négatives» au transfert vers les soins ambulatoires que représenterait le système de financement actuel. Les opérations ambulatoires sont globalement moins chères que les interventions stationnaires. Dans la mesure où l’ensemble des coûts des soins ambulatoires est à la charge des assurances-maladie uniquement, ces dernières ne seraient pas incitées à encourager ce transfert. Par l’uniformisation du financement, EFAS abolirait ces «incitations négatives».
En premier lieu, il convient de rappeler qu’à bien des égards, ledit virage ambulatoire est en cours en Suisse par un autre mécanisme qui n’a rien à voir avec EFAS. Aujourd’hui, il existe des listes d’opérations pouvant être réalisées en ambulatoire plutôt qu’en stationnaire. Des listes qui sont établies par les autorités publiques qui doivent, fort heureusement, garantir la sécurité pour les patient·e·s et pas uniquement l’économicité de l’intervention!
Le recours accru aux soins ambulatoires implique par ailleurs également le développement de l’offre de soins à domicile, nouveau champ d’investissement lucratif dans la santé puisque la part des entreprises privées représente pratiquement le tiers du marché [3]. EFAS est donc bel et bien un pas supplémentaire dans la privatisation de la santé.
Mainmise des assureurs
En réalité, pour atteindre le but d’augmenter la part d’interventions ambulatoires, «il est attendu que les assureurs développent leur offre de modèles alternatifs d’assurance impliquant des prises en charge contraignantes pour les assurées et les assurés [4]». À travers ces modèles alternatifs, il s’agit d’imposer le critère financier comme devant être déterminant dans le choix d’effectuer une intervention en ambulatoire ou en stationnaire. Or, plus les primes maladie augmentent, plus les modèles alternatifs ont du succès. C’est ici que réside le cœur de la révision que le SSP n’a cessé de dénoncer: EFAS ne représente rien d’autre qu’une mainmise des assureurs sur notre système de santé. Ceux-ci vont ainsi pouvoir imposer des «solutions» se traduisant par un rationnement des soins pour une frange toujours plus importante de la population – sans même parler des presque 20% qui renoncent à se soigner pour des raisons financières –, alors ceux·celles qui en auront les moyens devront contracter des coûteuses assurances complémentaires. Ces projets doivent être stoppés. Le 24 novembre, votons NON à EFAS!
Bilan en millions de déficit
Les promesses des pro-EFAS ne sont pas nouvelles. Elles copient celles de la précédente révision qui concernait le secteur hospitalier, entrée en vigueur en 2012. À cette occasion, le Conseil fédéral promettait des hôpitaux et des prestations plus efficaces et, évidemment, un frein à l’augmentation des primes.
Voici le résultat douze ans plus tard. Les hôpitaux publics et parapublics alignent des déficits, en même temps que leur activité augmente:
- HFR (FR): 15 millions de francs d’économies pour 2025 et 60 millions d’ici à 2028.
- RHNE (NE): 14 millions de déficit au budget 2024.
- HVS (VS): déficit de 11,3 millions en 2023.
- HUG (GE): déficit de 22,7 millions.
- CHUV (VD): déficit de 24,8 millions.
- KSSG (SG): licenciement de 117 collaborateurs·trices et des économies de 16,1 millions au budget. L’hôpital a enregistré, malgré ces mesures, un déficit de 25,5 millions en 2023.
- KSA (AG): l'hôpital cantonal a dû être sauvé de la faillite en 2023 grâce à un prêt du Canton.
- Inselspital (BE): déficit de 112,7 millions en 2023 et un déficit plus important encore attendu pour 2024. Malgré la fermetures de deux hôpitaux du groupe, des économies supplémentaires de 110 millions et 120 licenciements sont prévus pour 2025.
- UPD (BE): déficit de 21,9 millions en 2023. Cette année-là, l'UPD a obtenu un prêt de 25 millions du Canton.
- UAFP (BS): perte de 100 millions en 2022.
- USB (BS): perte d'environ 50 millions en 2023.
- KSBL (BL): déficit de 24,8 millions en 2023, 70 postes ont été supprimés.
Déficits et licenciements sont désormais au programme du secteur hospitalier public et subventionné. Environ 77% des frais de fonctionnement hospitaliers sont des frais de personnel. En conséquence, les économies se font sur le dos du personnel. Comment? Non-remplacement des absences (maladies, accidents, congés maternité), des départs à la retraite, refus d’indexation des salaires, gel des dotations, etc. Une pression maximale sur le personnel qui reste et qui finit par craquer ou quitter la profession.
Durant la même période, les primes d’assurance-maladie ont augmenté en moyenne de 30%!
La faîtière hospitalière, H+, elle, valide toutes les réformes, car elle représente aussi les cliniques à but lucratif.
Danger sur les soins aux aîné·e·s
Les aficionados d’EFAS se trouvent en difficulté lorsqu’il s’agit d’examiner ses conséquences d’EFAS sur les soins de longue durée (soins à domicile et en EMS) en raison de l’entêtement des faits. Alors que les pouvoirs publics assument à l’heure actuelle en moyenne nationale 46% du financement de ce secteur, cette part passerait à 26,9% avec EFAS. Les cantons cesseraient de payer la facture résiduelle. Ce désengagement entraînera des conséquences sur les résident·e·s puisque leur contribution financière ne sera plus plafonnée comme elle l’est à l’heure actuelle. Dans la mesure où les dépenses des soins de longue durée constituent le domaine dont la progression sera la plus forte ces prochaines années (+73% de 2022 à 2034 selon les projections, contre +50% pour les soins en hôpitaux et en cabinets médicaux), il apparaît évident que cette évolution se soldera par une augmentation des primes pour les assuré·e·s, santésuisse elle-même n’en fait pas mystère.
Cette augmentation des primes se combinera avec une volonté d’économies à tout va sur les conditions de travail des personnels soignants, qui n’en peuvent déjà plus.
La mise sur pied annoncée de tarifs pour les soins de longue durée est une histoire déjà connue du secteur hospitalier depuis 2012 et dont l’introduction s’est soldée par des déficits généralisés couplés à des dégradations massives des conditions de travail et donc de la qualité des soins.
Comme pour les hôpitaux, l’établissement de tarifs pour le financement dans les soins de longue durée débouchera sur le tri des patient·e·s par les EMS à but lucratif. Oliver Peters, ancien vice-directeur de l’Office fédéral de la santé publique et actuel membre du conseil d’administration des hôpitaux de Saint-Gall, s’oppose à EFAS et estime ainsi que, dans les soins de longue durée, «Les établissements de soins essaieront, dans la mesure du possible, de ne prendre en charge que les cas les plus légers. De nombreux établissements vont également optimiser les coûts afin de tirer un maximum de profit du tarif. [5]»
[1] «Avenir Santé Publique», communiqué de presse du 8 octobre 2024.
[2] Polynomics, Dr. Barbara Fischer, Dr. Beatrice Mäder, Dr. Harry Telser, Studie im Auftrag des Bundesamtes für Gesundheit BAG, juillet 2022.
[3] Voir Benoit Blanc, «EFAS ou soins infirmiers forts: il faut choisir!» publié sur alencontre.org le 6 septembre 2024.
[4] C. Grandchamp, J. Spycher, La réforme du financement uniforme des soins sous la loupe, Unisanté, octobre 2024.
[5] 24 heures, 22 octobre 2024.