Canicule et travail

de: Services Publics

Le dérèglement climatique va provoquer toujours plus d’épisodes caniculaires, ce qui a évidemment un impact sur les conditions de travail. Entretien avec Jean Parrat, hygiéniste du travail, inspecteur du travail à la retraite et ancien président du SSP – Région Jura.

Eric Roset

Face à la multiplication des épisodes caniculaires, peux-tu exposer quelles sont les principales conséquences en termes de santé au travail d’une élévation des températures moyennes?

Jean Parrat – Il faut d’abord prendre en compte que la Suisse connaît un climat tempéré, on n’est donc pas habitué·e·s aux températures élevées. On connaît l’exposition à la chaleur dans des postes de travail de l’industrie, par exemple dans les fonderies ou dans tous les processus industriels où l’on produit de la chaleur (alimentaire, travail des métaux). Il y a donc des gens qui sont exposés à la chaleur, mais il y en a peu.

Avec l’élévation des températures, la première conséquence, c’est la déshydratation qui arrive très rapidement parce qu’on n’a pas coutume, en Suisse, de boire régulièrement (ou lorsque l’employeur ne met pas d’eau à disposition, sur les chantiers par exemple). La deuxième, c’est l’insolation, avec des facteurs aggravants, notamment lorsque la tête n’est pas couverte. L’insolation provoque des maux de tête violents, de la somnolence ou encore des nausées. Cela a une influence certaine sur la sécurité au travail, car le risque d’accidents augmente si on est moins attentifs·ives. L’épuisement est un autre effet de la chaleur consécutif au fait que le corps humain doit lutter pour que le métabolisme garde la température du corps à 37°.

S’il fait très chaud, avec beaucoup de rayonnement solaire, le corps doit travailler très fort, le cœur faire circuler le sang plus vite pour refroidir la machine, ce qui débouche sur un phénomène d’épuisement. Vient ensuite le coup de chaleur, qui est vraiment quelque chose de très grave, avec des grandes faiblesses, des étourdissements, voire des pertes de connaissance. Le coup de chaleur met la vie gravement en danger parce qu’on peut vraiment avoir de très gros problèmes cardiaques, il ne faut surtout pas le prendre à la légère.

Malheureusement, il en va de la canicule comme des maladies qui sont dues au travail sans être reconnues comme des maladies professionnelles au sens légal: il n’y a pas d’évaluation chiffrée des affections dues à la canicule. C’est également le cas du mélanome dû à l’exposition aux rayons UV: le problème est qu’on peut aussi être victime de la chaleur pendant son temps libre, ce qui empêche la reconnaissance de ce type de maladie comme étant une maladie professionnelle.

C’est à l’employeur qu’incombe la responsabilité de protéger la santé des travailleurs·euses. Qu’en est-il des règles légales en vigueur en Suisse?

Il y a deux règles légales principales.

La première, c’est la Loi fédérale sur le travail (LTr) qui dit que l’employeur est tenu de protéger la santé du·de la travailleur·euse en tenant compte de l’état de la technique et des besoins effectifs. Il s’agit d’une règle générale avec une vision de la santé au sens large du terme.

Ce qui signifie que lorsque la science ou l’état de la technique démontrent qu’il peut y avoir un problème de santé, l’employeur est tenu de prendre des mesures pour la protéger. Il n’y a pas besoin que ce soit une maladie professionnelle. Typiquement, dans le cas de l’exposition à la chaleur, on sait bien que ça peut donner des problèmes de santé, donc l’employeur est tenu de prendre certaines mesures.

Dans un second temps, pour aller plus loin, si quelqu’un fait un coup de chaleur au travail ou bien si on arrive à démontrer que son mélanome est dû à l’exposition au soleil toute la journée dans le cadre professionnel, ce mélanome sera reconnu comme une maladie professionnelle. Et là entre en action l’article 82 de la Loi sur l’assurance-accidents (LAA) qui dit que l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures pour protéger contre les accidents et les maladies professionnelles. C’est dans cette optique que la Suva intervient car elle a tout intérêt à ce que des mesures de prévention soient mises en place, par exemple sur les chantiers, pour éviter la survenance de mélanomes.

Cependant, d’un point de vue technico-directif, on ne va pas trouver de durée de travail limite en fonction d’une tempépature, ça n’existe pas. Ce qu’on va trouver, ce sont des commentaires à l’ordonnance 3 de la Loi fédérale sur le travail qui sont sur le site internet du Seco. Il y a des commentaires liés à chaque article et, dans l’article sur la température ambiante, on va trouver des éléments relatifs à des mesures à prendre pour éviter qu’il fasse trop chaud dans des bureaux, par exemple, ou dans des lieux de travail.

Mais on ne va jamais trouver une limite à partir de laquelle on arrête de travailler. Il y a une seule exception dans la législation et elle concerne les femmes enceintes. On n’expose pas une femme enceinte à une température supérieure à 28°, et c’est tout. Le patron doit fournir un autre poste de travail équivalent, sinon il doit payer 80% de son salaire.

Des dispositions particulières ont-elles été mises en place ces dernières années?

Certains cantons ont pris des mesures ces dernières années pour stopper certains types d’activité en fonction des températures. Les sites internet de certains cantons, notamment Genève, fournissent des recommandations, c’est-à-dire comment évaluer le risque et que faire au fur et à mesure pour éviter des problèmes de santé. Il faut également relever que la température n’est pas l’unique élément qui entre en ligne de compte, et prendre en considération l’humidité et le vent pour déterminer les mesures à appliquer qui peuvent aller du fait de boire, de travailler à l’ombre, jusqu’au fait d’arrêter de travailler. Il faut préciser que ces éléments ne sont que des recommandations du Seco en fonction de la situation, rien n’est contraignant pour les entreprises.

Quelles revendications devraient être au cœur de l’activité des syndicats en ce qui concerne la protection contre les fortes chaleurs?

La question des critères est très délicate parce que beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte en plus de la température. Cela dépend par exemple de l’heure à laquelle on prend la mesure. Concernant les activités en plein air, les employeurs vont expliquer qu’il y a de l’ombre sous les dalles, etc. Les directives édictées à Genève m’apparaissent vraiment intéressantes car elles sont très précises et impliquent des mesures à prendre en fonction de la situation.

Se pose évidemment le problème de la mise en œuvre de ces mesures et de leur contrôle. À mon sens, elles doivent avoir un caractère obligatoire, l’arrêt de travail est plus compliqué, mais il doit rester possible si elles ne sont pas mises en œuvre. Par exemple dans le cas des canicules dites de degré 4 pour les travaux en plein air. Théoriquement, l’inspection du travail pourrait décider d’arrêter les travaux, mais les moyens et la volonté politique font le plus souvent défaut aux inspections du travail cantonales.

Les syndicats doivent exiger, de manière systématique, la mise en place de plans canicule avec des mesures de protection fortes et mettre les inspections du travail sous pression afin qu’elles interviennent pour empêcher la mise en danger de la santé et de la vie des travailleurs·euses. La Suva et les inspections du travail ont pourtant la base légale pour le faire, il ne manque qu’un certain courage politique.