Ces chiffres ne donnent qu’une vision approximative de la réalité: l’OFS ne prend pas en compte la hausse des primes d’assurance maladie et sous-estime le poids des loyers pour les ménages modestes. En intégrant ces facteurs, le conseiller national (PS) et économiste Samuel Bendahan arrive ainsi à la conclusion que, entre 2000 et 2022, le coût de la vie a augmenté trois fois plus que la moyenne pour les bas revenus [1].
La suite des opérations ne s’annonce pas très réjouissante. Les experts de Credit Suisse viennent de relever (2,2%, au lieu de 1,7%) leur prévision de renchérissement pour 2023. Ils prévoient aussi une hausse des loyers de 4%. Tandis que les ménages se chauffant aux énergies fossiles «doivent s’attendre à une flambée des charges à hauteur de 40%, à laquelle viendront s’ajouter les hausses de l’électricité de 30% en moyenne» [2].
Bref, «la Suisse n’en a pas encore fini avec l’inflation» [3]. Concrètement, cela signifie que les revenus de centaines de milliers de travailleuses et travailleurs continueront à être soumis à une forte pression. Pour rappel, les salaires réels ont déjà reculé de 1,8% en moyenne en 2022.
Les retraité-e-s ne sont pas à la fête non plus: le Parlement fédéral vient de refuser l’indexation intégrale des rentes AVS et s’apprête à voter la contre-réforme LPP 21, qui s’attaque aux pensions versées par le 2e pilier.
Bien sûr, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.
En 2022, le patron d’UBS, Ralph Hamers, a par exemple encaissé un chèque de 12,6 millions de francs[4]. Par rapport à l’année précédente, son revenu a progressé de près de 10% - soit bien plus que la hausse des prix. Il est vrai que sa banque a réalisé 7,6 milliards de bénéfices, en pleine crise mondiale.
Les évolutions de l’IPC ne doivent pas non plus faire de cheveux blancs aux actionnaires helvétiques: leurs dividendes ont progressé de 6,2% l’an dernier, dépassant ainsi la barre des 44 milliards de dollars.
Conjuguée au refus des employeurs d’augmenter significativement les salaires, l’inflation se traduit ainsi par une nouvelle explosion des inégalités, déjà élevées dans notre pays. Dans des secteurs croissants de la population, cette situation alimente un sentiment de colère légitime. Une colère qui peine pourtant à déboucher sur des résistances collectives, notamment en raison d’une histoire marquée par des décennies de «paix du travail».
Cette relative apathie n’est cependant pas une fatalité. C’est ce que nous démontrent nos collègues vaudois-e-s, qui mènent depuis plusieurs mois une lutte massive en défense des salaires – et des conditions de travail – de dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs de la fonction publique et parapublique.
Cette bataille admirable pourrait en inspirer d’autres.
[1] Tribune de Genève, 16 octobre 2022.
[2] La Liberté, 2 mars 2023.
[3] Le Temps, 7 mars 2023.
[4] NZZ, 7 mars 2023.