Répartir le travail et les richesses

de: Guy Zurkinden, rédacteur

L’Union patronale suisse propose d’augmenter la durée du travail. Son offensive va à l’encontre des besoins des travailleurs et travailleuses.

Eric Roset

En 2022, les salaires réels ont baissé en moyenne de 1,9% en Suisse, indique l’Office fédéral de la statistique (OFS). Cette chute des revenus du travail est la plus importante enregistrée par son indice des salaires, qui remonte jusqu’à 1939 [1]. Cette baisse s’explique par deux facteurs: le retour de l’inflation et le blocage salarial imposé par les employeurs. Elle s’est accompagnée d’un accroissement des inégalités entre hommes et femmes.

En réalité, le recul des salaires est plus important que ce que révèlent les données de l’OFS, qui ne tiennent pas compte des primes d’assurance maladie et sous-estiment le poids des loyers pour les revenus modestes.

En 2023, la situation restera tendue. Selon l’institut de conjoncture KOF, le renchérissement se maintiendra à un niveau élevé (2,6%). Les loyers et les primes d’assurance maladie continueront à grimper, tandis que les plans d’austérité du Conseil fédéral rendront la vie difficile aux plus précaires. De son côté la droite, à l’image du conseiller national libéral-radical Philippe Nantermod, fait pression pour baisser les salaires du secteur public.

Les employeurs tentent de pousser l’avantage sur un autre terrain. «Il faut travailler plus longtemps», a exigé l’Union patronale suisse (UPS) cette semaine [2]. Dans cet objectif, l’UPS propose notamment: d’augmenter la durée du travail; de flexibiliser la loi sur le travail, afin de «voir passer l’espace-temps d’une journée de travail de quatorze à dix-sept heures»; d’élever l’âge de la retraite; et de renchérir le coût des études supérieures.

Ces exigences vont à l’encontre des besoins des travailleurs et travailleuses. En Suisse, la durée hebdomadaire du travail est en effet parmi les plus élevées d’Europe [3]. Conséquence: des centaines de milliers de salarié-e-s, surtout des femmes, sont contraint-e-s de travailler à temps partiel pour combiner emploi, tâches éducatives et domestiques – et supporter des conditions de travail toujours plus rudes. Cette réalité se traduit par des salaires – et, plus tard, des rentes de retraite – fortement réduits.

Dans ce contexte, et alors que plus de 430'000 salarié-e-s galèrent à la recherche d’un boulot ou en sous-emploi [4], une revendication devrait tomber sous le sens: la réduction du temps de travail, sans diminution des salaires. Au vu des sommes gigantesques empochées chaque année par les actionnaires des principales entreprises helvétiques – 44,2 milliards de dollars de dividendes en 2022! –, cette mesure pourrait être financée sans problème.

Avec l’égalité salariale et le refus de l’élévation de l’âge de la retraite, la réduction du temps de travail figure parmi les principales revendications de la Grève féministe du 14 juin 2023. Une raison de plus de nous mobiliser largement à cette occasion.


[1] OFS: Évolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels, 1942-2022.
[2] Union patronale suisse, 24 avril 2023.
[3] M. Siegenthaler: Du boom de l’après-guerre au miracle de l’emploi – la forte diminution du temps de travail en Suisse depuis 1950. Social Change in Switzerland, N° 9, juin 2017.
[4] OFS, chiffres pour le 4e trimestre 2022.