Refuser une austérité toxique

de: Reto Wyss, Union syndicale suisse (USS)

Le Conseil fédéral prévoit de nouveaux plans d’économies, alors que les collectivités croulent sous les milliards. Les syndicats disent stop.

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Après la pandémie, la majorité bourgeoise du Conseil fédéral a dressé un sombre portrait de la situation financière de la Confédération, annonçant qu’il faudrait « se serrer la ceinture». Avant de prendre sa retraite, le conseiller fédéral UDC Ueli Maurer a annoncé une nouvelle cure d’austérité. Les coupes ont été encore durcies par la libérale-radicale Karin Keller Sutter, qui a pris la succession de M. Maurer à la tête du Département fédéral des finances (DFF). L’Union syndicale suisse (USS) fera tout pour lutter contre ces mesures d’économies.

Des coupes injustifiables

Selon le Conseil fédéral, c’est le piètre résultat surprise des comptes 2022 aurait fait pencher la balance en faveur de cette cure radicale. Pourtant, ledit résultat découle surtout de restructurations comptables et d’effets ponctuels dus à la mise en œuvre de la dernière réforme fiscale (RFFA). Il n’est donc pas le fruit de problèmes structurels. Pour preuve: même après la pandémie, la valeur nette du patrimoine des pouvoirs publics dépasse les 400 milliards de francs !

Dans ce contexte, la radicalité des mesures annoncées par le Conseil fédéral laisse songeur. Des coupes sont en effet prévues à tous les niveaux: dans la culture (qui ne s’est pas encore relevée de la période Covid); dans les transports publics (avec pour conséquence la hausse des prix des billets); dans l’AVS; dans l’instruction publique (malgré l’augmentation du nombre d’élèves) et dans la coopération internationale.

Dans les cantons, l’abondance

La publication des comptes annuels 2022 de presque tous les cantons (24 sur 26) révèle un excédent cumulé de 3,3 milliards de francs, alors que le déficit budgétisé était d’un milliard. Les gouvernements cantonaux expliquent tous cette «erreur de calcul» de 4,3 milliards (!) par des revenus plus élevés que prévu, qui trouveraient leur origine dans les recettes des impôts sur les sociétés, bien meilleures que prévues, et dans les distributions des bénéfices de la Banque nationale suisse (BNS). La première raison invoquée est évidente: lorsque les budgets 2022 ont été établis, l’ampleur du redressement économique post-Covid n’était pas prévisible. En revanche, la multiplication par six des bénéfices de la BNS était attendue. Elle ne peut donc pas être avancée pour justifier les excédents élevés.

Des excédents bien «planqués»

Ces colossaux bénéfices cantonaux ne sont pas nouveaux, et l’USS les dénonce depuis plusieurs années. Le principal problème est que ces fonds ne sont pas affectés à des dépenses en faveur de la population ou à des investissements productifs. Ils sont absorbés par le développement de la fortune des pouvoirs publics, qui atteint le montant astronomique de 400 milliards de francs – un chiffre qui serait encore plus élevé si les cantons n’avaient pas eu recours à des astuces comptables pour boucler les comptes 2022, dans le but de ne pas susciter de «convoitises».

Il faut préciser que les formidables excédents des cantons ne résultent pas seulement des recettes. Ils proviennent surtout des économies réalisées sur le dos de tâches publiques essentielles, comme les réductions des primes maladie pour les familles modestes, les soins de longue durée ou le financement de la transition énergétique.

Imposition minimale à revoir !

Il est temps de corriger cette situation scandaleuse en utilisant judicieusement les bénéfices astronomiques des cantons. Ces excédents sont en effet supérieurs au coût provisoire (2,7 milliards de francs) des plans d’économies concoctés par le Conseil fédéral – on pourrait donc en conclure que les cantons n’ont qu’à verser cette somme à la Confédération ! Une autre piste consiste à proposer une mise en œuvre judicieuse de l’imposition minimale de l’OCDE, qui doterait la Confédération des ressources supplémentaires nécessaires. Le Conseil fédéral a pourtant pris la décision inverse, en attribuant aux cantons la part du lion des recettes additionnelles qu’entraînera l’adoption de ce taux d’imposition minimal de 15% sur les bénéfices des entreprises.

Voilà une raison suffisante pour rejeter le projet de mise en œuvre de l’imposition de l’ODCE, qui sera soumis en votation le 18 juin. Ce « non » aura un double objectif: exiger une nouvelle mouture, équilibrée sur le plan de la politique financière, et refuser les plans d’austérité de Karin Keller-Sutter.