Pauvreté en Suisse

de: Journal "Services Publics"

La dernière enquête de l’OFS sur les revenus et les conditions de vie souligne l’étendue de la précarité en Suisse.

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En 2021, 448'000 personnes résidant en Suisse se sont retrouvées en situation de privation matérielle et sociale. 5,2% de la population, soit plus d’une personne sur vingt, ont ainsi renoncé à certains biens, services et activités sociales par manque d’argent. La même année, près de 20% de la population n’était pas en condition de faire face à une facture inattendue de 2500 francs dans un délai d’un mois. Voilà quelques-uns des enseignements de la dernière enquête de l’Office fédéral de la statistique (OFS) portant sur les revenus et les conditions de vie (SILC). Celle-ci donne une indication de l’étendue de la précarité en Suisse.

Démuni·es face à l’inattendu

Selon l’OFS, la forme la plus courante de privation matérielle, soit l’incapacité à faire face à une dépense inattendue de 2500 francs, est le lot de près de 20% des ménages. Les deux autres formes de privation les plus répandues sont le manque de ressources pour remplacer des meubles usés (10,4%) et l’impossibilité de partir en vacances au moins une semaine par an (8,7%). Au niveau individuel, la privation la plus fréquente est l’incapacité de s’offrir régulièrement une activité de loisirs payante (7,9%).

Les arriérés de paiement par manque de moyens financiers sont répandus. En 2021, les 7,2% de la population vivaient dans des ménages n’arrivant pas à payer certaines factures courantes (loyer ou intérêts hypothécaires, factures d’eau, d’électricité, de gaz et de chauffage, remboursements de crédits) au cours des douze derniers mois. En tenant compte des primes pour l’assurance maladie de base et des impôts, cette proportion atteignait 11,5%! Une part significative de la population a donc de grandes difficultés à boucler ses fins de mois. À noter que 6,3% des helvètes se sont trouvé-e-s dans l’impossibilité de dépenser une petite somme pour eux-elles-mêmes chaque semaine en 2021, tandis que 1,5% n’avait pas de quoi s’offrir un repas complet au moins tous les deux jours.

Femme étrangère, double peine

Le taux de privation matérielle est plus élevé chez les femmes (5,5%) que chez les hommes (4,9%). Il est nettement plus marqué chez les personnes de nationalité étrangère: 10,6% pour les femmes étrangères, contre 4% pour les femmes de nationalité suisse; 9,6% pour les hommes étrangers, contre 3,2% pour les hommes suisses. Les ménages monoparentaux (13,7%), les personnes au chômage (18,5%) et celles qui touchent les revenus les plus bas (15,2%) sont particulièrement concernées.

Pauvreté en hausse

L’OFS indique aussi que le taux de pauvreté se situait à 8,7% en 2021 – contre 8,5% en 2020. Cela représente 745'000 personnes, dont 134'000 enfants. Ce taux est calculé en prenant en compte les normes fixées par la Conférence suisse des institutions sociales (CSIS), qui fixent le seuil de pauvreté à 2289 francs par mois de revenu disponible pour une personne seule – 3989 francs par mois pour deux adultes et deux enfants. L’OFS calcule aussi le taux de risque de pauvreté, basé lui sur des standards internationaux (60% du revenu disponible médian). Le résultat est bien plus élevé, avec 14,6% de la population menacée de précarité, soit 1 244 000 personnes. À nouveau, les femmes (22,4%) et hommes (21%) de nationalité étrangère sont très exposés. L’OFS décompte aussi 157 000 travailleurs-euses pauvres. En prenant en compte les enfants et les membres de la famille sans activité professionnelle vivant dans le même ménage, le nombre de personnes touchées par la pauvreté travailleuse se monte à 305 000.

Invisible ruissellement

«La pauvreté en Suisse augmente significativement et de manière continue depuis 2014» réagissait Andreas Lustenberger, au nom de Caritas Suisse, à la publication des chiffres de l’OFS. «Malgré une bonne situation économique générale, il n'a pas été possible d'inverser cette tendance et de réduire la pauvreté.» Dans les épiceries tenues par Caritas, la demande de produits alimentaires de base à prix réduit a ainsi augmenté de 40% au cours des derniers mois.

On rappellera qu’en 2021, le magazine Bilan annonçait que les 300 plus riches de Suisse détenaient une fortune estimée à 821,8 milliards de francs. Un record absolu, en hausse de 16,3% sur une année (Bilan, décembre 2021). En Suisse comme ailleurs, il est temps d’enterrer définitivement la théorie du «ruissellement des richesses», selon laquelle le bien-être des plus fortuné-e-s rejaillirait sur l’ensemble de la population.