Le 17 février à minuit, l’Assemblée nationale a clos deux semaines de débats sur la réforme des retraites – sans vote final et sans avoir discuté le fameux article 7, portant sur le report de l’âge légal de départ à 64 ans. La faute à un gouvernement qui avait décidé de limiter la durée des discussions à quinze jours. Le 27 février, le texte est passé au Sénat.
L’importance des syndicats
«C’est un fait, dans cette bataille, les syndicats ont la main». Comme le souligne le quotidien Libération [1], ce n’est pas sur les bancs du Palais Bourbon que se joue le vrai match sur les retraites, mais dans la rue et sur les lieux de travail. L’Intersyndicale, qui réunit les principaux syndicats du pays (soutenus par les syndicats étudiants), a ainsi organisé, depuis le 19 janvier, plusieurs journées de mobilisation massivement suivies. La cinquième et dernière a réuni 1,3 million de manifestant-e-s dans tout le pays le 16 février, un chiffre en légère baisse selon le décompte des syndicats. Cinq jours plus tôt, 2,5 millions de manifestant-e-s étaient descendu-e-s dans la rue. «Au-delà des chiffres, un constat s’impose: dans les petites villes comme dans les grandes se sont mélangés tous les âges, jeunes comme retraités, habitués des mobilisations comme des personnes n’ayant jamais battu le pavé» [2].
Appel à un durcissement
Confrontés à l’intransigeance d’un gouvernement désireux d’imposer à tout prix une réforme particulièrement impopulaire (selon les sondages, 90% de la population active la rejette!), les syndicats ont décidé de monter d’un cran dans le rapport de forces. Le 7 mars prochain, l’Intersyndicale appelle ainsi à «à durcir le mouvement et à mettre la France à l’arrêt dans tous les secteurs, y compris par des débrayages quotidiens». Des grèves reconductibles ont déjà été annoncées dans plusieurs secteurs, notamment les raffineries et les transports, laissant présager un durcissement du conflit. Le syndicat Solidaires propose de son côté «à l’ensemble des travailleuses et travailleurs, du privé comme du public, de mettre en débat en assemblées générales la possibilité de reconduire la grève à partir du 7 mars selon les modalités propres à chaque secteur, avec inventivité et détermination».
Jonction avec le 8 mars
Comme le note le quotidien Le Monde, la réforme d’Emmanuel Macron et Elisabeth Borne se révèle «particulièrement sévère pour les femmes, inégalitaire pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et beaucoup moins favorable qu’annoncé pour ceux qui touchent de petites pensions» [3]. En parallèle, le texte de loi nie la dureté du travail à l’œuvre dans de nombreux secteurs – construction, éboueurs privés, grande distribution, soins, etc. – où une part importante de salarié-e-s doivent quitter leur emploi prématurément, cassé-e-s par la pénibilité [4]. L’élévation de l’âge de la retraite aura aussi pour conséquence de renforcer les inégalités entre les hommes et les femmes. Dans cette optique, les syndicats ont décidé de se saisir du 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes «pour mettre en évidence et dénoncer l’injustice sociale majeure de cette réforme des retraites envers les femmes». Le jour suivant, ce sont les organisations de jeunesse qui appelleront à la mobilisation.
Répondre enfin à l’offensive néolibérale
«Toutes et tous ensemble, nous avons la possibilité de mettre un coup d’arrêt à l’action antisociale de ce gouvernement sur les retraites», écrit le syndicat Solidaires. Selon lui, une victoire contre le gouvernement Macron représenterait un tournant pour le monde du travail. Elle ouvrirait ainsi «tous les possibles sur les retraites bien sûr, mais aussi sur les salaires, le chômage ou les minimas sociaux, sur le logement et l’immigration, et plus largement en matière d’améliorations sociales et écologiques». S’il réussit son pari de montée en puissance, le mouvement du 7 mars pourrait ainsi, analysent les journalistes Fabien Escalona et Romaric Godin [5], devenir «l’occasion de répondre enfin dans les mêmes termes à une offensive néolibérale menée en conscience par des élites qui déroulent une politique de classe continue, systématique, déterminée et transformative».
Une victoire des salarié-e-s français-e-s sur la bataille des retraites représenterait aussi une vibrante inspiration pour les luttes syndicales qui essaiment depuis cet automne sur tout le continent européen.
[1] Libération, 17 février 2023.
[2] Politis, 11 février 2023. Cité sur le site www.alencontre.org, 12 février.
[3] Le Monde, 20 février 2023.
[4] Le Monde, 22 février 2023.
[5] mediapart.fr, 18 février 2023.