Derrière les coupes, un projet politique

de: Guy Zurkinden, rédacteur «Services Publics»

«Karin Keller-Sutter en mère la rigueur» («Tribune de Genève», 16 février 2023). Sous l’impulsion de la nouvelle ministre des Finances, le Conseil fédéral serre la ceinture. En 2024, 2025 et 2026, tous les départements devront réduire leurs dépenses de 2%. Le personnel fédéral ne sera pas épargné.

Claudio Schwarz, Unsplash

En parallèle, Karin Keller-Sutter (KKS) refuse le financement fédéral nécessaire pour pérenniser les mesures de soutien à l’accueil extra-familial. Cerise sur le gâteau, la conseillère fédérale libérale-radicale veut économiser 100 millions de francs en coupant dans les rentes de veuves.

Pour justifier ces tours de vis, l’ancienne membre du comité de l’Union patronale suisse invoque une «situation financière délicate». C’est de la poudre aux yeux. Certes, l’exercice 2022 s’est soldé sur un déficit. Mais entre 2003 et 2019, les finances fédérales ont réalisé des milliards d’excédents, systématiquement utilisés pour rembourser la dette.

Conséquence: la Confédération a aujourd’hui un taux d’endettement exceptionnellement bas en comparaison internationale, qui continue de baisser. «Les finances publiques suisses sont en bonne santé à tous égards, et elles le resteront après la crise actuelle», résume le réputé institut de conjoncture de l’EPFZ. La situation pourrait encore s’améliorer avec une légère taxation supplémentaire du pactole aux mains des plus riches du pays.

Ce n’est pas la voie choisie par le Conseil fédéral. Au contraire. Si l’exécutif coupe d’une main dans les dépenses répondant aux besoins de la majorité, il multiplie de l’autre les largesses destinées aux plus aisé-e-s.

KKS a ainsi renoncé à 600 millions de recettes fiscales en 2023, en refusant de reporter la suppression des droits de douane sur les produits industriels – une mesure qui profitera notamment aux grands importateurs de véhicules.

En parallèle, le Conseil fédéral propose un cadeau fiscal taillé sur mesure pour les armateurs et les sociétés de négoce, la «taxe au tonnage». Le géant maritime MSC et le roi du charbon Glencore applaudissent. Les caisses publiques, elles, perdront des millions dans l’opération.

Enfin, le Conseil fédéral augmentera le budget de l’armée de 600 millions entre 2021 et 2024 – une croissance qui se poursuivra jusqu’en 2035. En plus de satisfaire les partis de droite, cette décision fera le beurre d’une partie de l’industrie des machines – dont le principal représentant, Stefan Brupbacher, siège au comité d’Alliance Sécurité Suisse, un des principaux lobbys pro-militaires du pays.

Les projets fiscaux et budgétaires de KKS et de ses collègues du Conseil fédéral n’ont pas pour objectif de résoudre des «difficultés financières». Ils sont l’expression d’un projet politique visant à garantir les profits des principaux groupes capitalistes basés en Suisse, dans le cadre d’une concurrence internationale exacerbée.

Pour le monde du travail, ce projet se traduit par une succession de reculs sociaux. Ces régressions touchent de plein fouet les travailleuses les plus précaires, comme le montrent la récente élévation de l’âge de la retraite des femmes ou l’attaque contre les rentes de veuves.

Les mobilisations féministes et syndicales du 8 mars et du 14 juin prochains seront des étapes importantes de notre lutte contre ce projet antisocial.