De l’utilité des syndicats

Des dizaines d’études soulignent le rôle positif joué par les syndicats en matière de salaires et de conditions de travail – et bien au-delà.

Eric Roset

Les syndicats sont nés en Europe, en pleine révolution industrielle. Lors de son premier Congrès, en 1866, l’Association internationale des travailleurs (AIT) résumait ainsi les raisons de cette émergence: «Le capital est une puissance sociale concentrée tandis que l’ouvrier ne dispose que de sa force de travail. Le contrat entre le capital et le travail ne peut donc jamais reposer sur des conditions équitables (…) L’unique puissance sociale du côté des ouvriers est leur masse. Cependant, la puissance de la masse est brisée par la désunion. La dispersion des ouvriers est engendrée et entretenue par leur concurrence inévitable. Les syndicats sont nés tout d’abord de tentatives spontanées de la part d’ouvriers pour supprimer ou, du moins, restreindre cette concurrence, pour arracher des conditions de travail les élevant au moins au-dessus de la condition de simples esclaves» [1].

Plus de 150 ans plus tard, à l’heure où la mondialisation a puissamment renforcé la concurrence entre salarié-e-s, les syndicats sont-ils toujours un outil efficace aux mains de la classe travailleuse? Pour répondre à cette question, l’Union syndicale suisse (USS) s’est penchée sur une centaine d’études analysant les liens entre conditions de travail, salaires et syndicats . Elle en retire quelques constations intéressantes.

Bon pour les salaires…

Tout d’abord, l’augmentation du degré d’organisation syndicale s’accompagne en général de salaires plus élevés – notamment pour les bas et moyens revenus. Aux Etats-Unis par exemple, une étude a montré qu’une personne travaillant dans une entreprise ayant une présence syndicale gagne en moyenne 15% de plus que lorsqu’elle œuvre dans un désert syndical. L’activité syndicale permet aussi de réduire les inégalités, de 25% en moyenne, entre les hauts et les bas revenus. En Allemagne, au cours des dernières années, certains employeurs ont ainsi évité de signer des CCT de branche avec les syndicats, ce qui leur a permis de verser des salaires plus bas que les minimaux conventionnels – avec, à la clé, une augmentation des inégalités. Autre illustration du lien entre degré d’organisation et écarts sociaux: aux Etats-Unis, la baisse des effectifs syndicaux entamée dans les années 1970 est allée de pair avec une augmentation massive des inégalités de revenus.

De nombreuses études soulignent aussi l’impact des syndicats sur les inégalités entre les genres. Un exemple parlant en la matière est celui des enseignant-e-s de l’Etat du Wisconsin, dont les droits de négociation collective ont été passés à la moulinette en 2011 par le gouvernement du conservateur Scott Walker, malgré une résistance très vive. Conséquence: les salaires des enseignant-e-s ont chuté, tandis qu’un écart, auparavant inexistant, s’est creusé entre la rémunération des hommes et des femmes.

… et pour la société

Les bénéfices de l’organisation collective ne se limitent pas aux salaires. Selon une étude de l’OCDE (2019), les conditions de travail sont en général meilleures dans les secteurs organisés syndicalement: les employé-e-s travaillant dans des secteurs couverts par des accords collectifs disposent d’une plus grande autonomie, de meilleures possibilités de formation continue et peuvent déterminer plus librement leurs horaires de travail. Ils et elles sont donc moins souvent épuisé-e-s. Autre avantage relevé par l’USS: lorsqu’ils sont négociés avec les syndicats, les horaires de travail sont souvent plus courts, et les vacances plus conséquentes – en 1949 déjà, les foyers états-uniens comptant au moins un membre d’un syndicat avaient 40% plus de chances d’avoir des congés payés que les autres!

Un peu de reconnaissance!

Au-delà des conditions de travail et de salaire, les enquêtes parcourues par l’USS concluent aussi à un impact positif de l’organisation syndicale sur la productivité du travail et sur l’emploi – notamment via une meilleure protection contre les licenciements. Elles soulignent aussi le rôle progressiste joué par les syndicats, qui ont permis d’arracher les droits sociaux fondamentaux et la mise sur pied d’impôts progressifs – et restent aujourd’hui aux avant-postes de la défense des droits démocratiques.

En conclusion, l’USS exprime le vœu que cet apport décisif soit reconnu dans la politique helvétique. Dans cet objectif, la faîtière propose notamment d’améliorer la protection des militantes et militants syndicaux contre le licenciement.


Citée dans René Mouriaux: Syndicalisme et politique. Éditions ouvrières, 1985.