Mme Rickli n’a pas inventé cette proposition. On la retrouve notamment dans un manifeste néolibéral rédigé en 2021 par une brochette d’idéologues patronaux sous la houlette de Kaspar Villiger, ex conseiller fédéral radical recyclé ensuite à la présidence du conseil d’administration d’UBS [2].
L’argument de Mme Rickli et de ses ami·e·s en faveur de cette option radicale? La hausse continue des primes d’assurance maladie qui pèse sur les ménages serait le symptôme d’une augmentation « incontrôlable » des coûts de la santé, qu’il s’agirait de freiner à tout prix. Cet argument est doublement fallacieux.
D’abord, parce que le souci d’économies de la droite est à géométrie très variable. L’an dernier, les partis bourgeois (UDC, PLR et Centre) ont imposé à Berne une augmentation massive des dépenses militaires. Celles-ci ont pourtant déjà fortement progressé depuis 2015 [3], ce qui permet auxs cadres de la grande muette de s’enjailler dans de jolis hôtels aux frais du contribuable [4]. Enhardi par ce soutien, le chef de l’armée Thomas Süssli réclame 13 milliards de plus. À droite, personne ne dénonce cette « explosion des coûts ».
Ensuite, parce que les dépenses de santé helvétiques sont loin d’être démesurées. Rapportées au Produit intérieur brut (PIB), elles sont plus faibles qu’en Allemagne [5]. Le vrai problème réside dans leur financement: antisocial, le système des primes par tête, couplé à des franchises élevées, pèse beaucoup plus sur les bas et moyens revenus que sur les riches.
Un financement solidaire, sur le modèle de l’AVS, pourrait régler le problème. Mais la droite n’en veut pas. La raison ? Pour elle, l’augmentation des primes a un rôle important. Comme l’explique Konrad Graber, ex conseiller aux Etats (Centre) et président de la faîtière des caisses maladie Curafutura,« elle crée une pression de la souffrance. Si nous payions tous les coûts par le biais des impôts, personne ne remarquerait la hausse. Ce n'est que parce que les gens ressentent les effets de la politique de santé directement dans leur porte-monnaie que les politiques prennent des mesures » [6].
Parmi les « mesures à prendre », M. Graber cite l’accélération des fermetures d’hôpitaux et le projet de financement uniforme des soins ambulatoires et stationnaires (EFAS), qu’il présente comme un « moindre mal » face à la proposition « extrême » de Mme Rickli. Celle-ci fait ainsi office d’épouvantail visant à faciliter l’acceptation d’étapes clés de la privatisation du système de santé. Une libéralisation payée cash par les salarié·e·s du secteur, qui voient leurs conditions de travail se péjorer et par les usagers·ères, qui paient toujours plus pour des prestations dégradées.
Comment combattre cette régression? D’une part, en défendant un service public de la santé financé de manière solidaire – ce qui implique la mise sur pied d’une caisse maladie unique et publique. De l’autre, en exigeant des hausses de salaires substantielles permettant aux salarié·e·s de faire face à l’explosion des primes en attendant ce nécessaire changement de paradigme.
[1] SonntagsZeitung, 27 août 2023.
[2] NZZ, Bonny Stiftung: Erfolgreich und liberal: Reformideen für die Schweiz, 24 décembre 2021.
[3] NZZ, 24 août 2023.
[4] NZZ am Sonntag, 6 août 2023.
[5] NZZ, 29 août 2023.
[6] NZZ, Idem.