Les femmes, perdantes de la LPP

de: Michela Bovolenta, secrétaire centrale SSP

En 2020, l’écart entre les prestations de prévoyance professionnelle touchées par les hommes et les femmes est resté abyssal. Pour la grande majorité des salarié·e·s, l’AVS est le système le plus favorable.

photo Valdemar Verissimo

En janvier, l’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié ses résultats sur les nouvelles rentes versées en 2020 par la prévoyance professionnelle [1]. Ces chiffres confirment une fois de plus que le deuxième pilier du système de retraites prétérite les femmes de manière très importante. Alors que nous sommes en pleine campagne référendaire contre AVS 21 et que le parlement s’apprête à débattre du deuxième volet de la réforme des retraites, le projet LPP 21, il vaut la peine de s’attarder sur ces données.

Deux fois moins !

Voilà la cruelle réalité des inégalités en matière de versement du capital du 2e pilier: le montant médian du capital retiré par les hommes est de 150 000 francs, contre à peine 61 000 francs pour les femmes. La différence est encore plus grande lorsqu’on prend en compte le capital versé par les institutions de libre passage: près de 200 000 francs pour les hommes, contre 79 000 francs pour les femmes. L’analyse de l’OFS montre aussi que ce sont les personnes partant à la retraite avant l’âge légal qui perçoivent les prestations en capital les plus élevés. Et comme les rentes des hommes sont plus hautes, ce sont eux qui peuvent le plus facilement s’offrir une retraite anticipée. Une réalité qui relativise fortement l’argument consistant à culpabiliser les femmes qui auraient le «privilège» de la retraite à 64 ans.

Rentes à la baisse

La statistique sur les nouvelles rentes existe depuis 2015. En plus des inégalités criantes entre les deux sexes, on peut y lire la baisse des rentes du 2e pilier, qui touche plus fortement les hommes. Cette tendance contribue à réduire l’écart entre les sexes, sans pour autant que les rentes des femmes ne s’améliorent. Ainsi, la rente médiane des hommes a chuté de 9,3% entre 2015 et 2020, passant de 2300 à 2080 francs; en parallèle, la rente médiane des femmes a gagné 4 francs, passant de 1163 à 1167 francs. Cette évolution, sur une courte durée, montre l’ampleur de la crise du 2e pilier. Alors que la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) est entrée en vigueur en 1985 et que la première génération qui en a entièrement bénéficié arrive bientôt à la retraite, le système devrait fonctionner à une vitesse de croisière. Or, c’est le contraire qui se passe: la LPP n’a pas tenu ses promesses et les rentes baissent, année après année.

La droite escamote les inégalités

«À l’encontre de la rhétorique habituelle, les femmes célibataires ont des rentes plus élevées que les hommes» [2]. Voilà la découverte faite par le quotidien alémanique conservateur Neue Zürcher Zeitung (NZZ), qui a épluché en détail les chiffres de l’OFS. Les femmes célibataires qui ont touché une nouvelle rente du 2e pilier en 2020 ont en effet perçu une rente médiane de 1926 francs, alors que les hommes célibataires n’ont touché que 1874 francs, soit 2,3% de moins. Un scandale pour la NZZ. Et, surtout, un argument pour tenter de justifier un système qui produit un écart tellement grand entre les hommes et les femmes qu’il en devient gênant – si on ne l’escamote pas.

Merci chéri !

Pour justifier l’écart abyssal entre les rentes touchées par les hommes et les femmes – dont la majorité sont bien mariées, veuves ou divorcées –, le camp bourgeois n’hésite pas à ressortir le vieux concept du salaire d’appoint, mué pour l’occasion en rente d’appoint. Ainsi, le journaliste Fabian Schäfer s’interroge: «Pourquoi les retraitées ne montent-elles pas aux barricades ?» Et de répondre dans la foulée: «Vraisemblablement parce qu’elles sont mariées, et ce avec des hommes qui partagent leur rente avec elles»[3]. Le tour est joué: durant leur vie active, les femmes n’ont pas besoin d’un bon salaire, car elles vivent grâce au revenu de leur conjoint. Pourquoi auraient-elles besoin d’une bonne rente ? L’assurance vie d’une dame, c’est son chéri: si elle divorce, c’est pour sa poire; et s’il meurt, c’est pas de chance.

54% de rente en moins

Ce discours est inacceptable. Une femme mariée touche une rente LPP médiane de 985 francs, contre 2181 pour un homme marié. Cela représente 54% de moins. Une veuve touche 853 francs, contre 1868 pour un veuf. C’est à nouveau 54% plus bas. Une femme divorcée touche une rente médiane de 1282 francs, contre 1808 francs pour un homme divorcé. C’est 29% de moins ! Au XXIe siècle, ces immenses différences ne peuvent plus être justifiées en considérant les femmes comme des travailleuses d’appoint et en niant totalement le volet du travail non rémunéré – un labeur gratuit dont les hommes profitent certes, mais dont le principal gagnant est bien le système capitaliste et sa caste de riches.

AVS 21, une bataille décisive !

L’AVS est nettement plus égalitaire que le 2e pilier
Les statistiques de l’OFS confirment le fait que les rentes versées par le 1er pilier du système de retraites sont moins inégalitaires. Et que, pour les femmes, ces rentes sont bien plus élevées que celles perçues dans le cadre 2e pilier.

Ainsi, la rente AVS médiane d’une femme mariée est de 1742 francs, contre 1877 francs pour un homme marié. Soit une différence de 7,2%. Cette différence est moins importante pour les veuves, qui touchent une rente de 2230 francs – soit 5,7% de moins que les veufs, qui reçoivent une rente médiane de 2366 francs.

Une femme divorcée touche 1972 francs, soit 2,8% de moins qu’un homme divorcé dont la rente médiane est de 2029 francs. Enfin, les femmes célibataires touchent une rente de 1953 francs, soit 20 francs par mois, ou 1,5% de plus que les hommes célibataires. Contrairement à ce que prétendent les milieux conservateurs dont la NZZ se fait le porte-voix, c’est plutôt la rente des hommes qui est boostée par le mariage !

En conclusion, il ressort très clairement que l’AVS est un système bien plus favorable, non seulement pour la majorité des femmes, mais aussi pour une majorité d’hommes. Certes, ces derniers tirent encore leur épingle du jeu dans le 2e pilier. Mais leurs rentes sont en chute libre et, hormis ceux qui ont de bons postes et des salaires élevés, tous les autres vont voir leur situation financière à la retraite se dégrader. En parallèle, leur possibilité de prendre une retraite anticipée s’amoindrit.

La bataille référendaire contre AVS 21 sera décisive pour la suite du débat sur les retraites, tant au niveau d’une augmentation générale de l’âge de la retraite de toutes et tous qu’au niveau de la réforme du 2e pilier et de l’évolution des rentes.


[1] OFS: Statistique des nouvelles rentes 2020. 18 janvier 2022.

[2] Neue Zürcher Zeitung, 22 janvier 2022.

[3] Idem.