Les cantons roulent sur l’or

de: Services Publics

Malgré la pandémie, les cantons ont fait des bénéfices en 2021. Et prévoient de nouvelles baisses d’impôts!

photo Eric Roset

Le 1er avril dernier, le Conseil d’Etat genevois publiait des comptes 2021 flamboyants. L’écart entre ce résultat bénéficiaire et le déficit pronostiqué par l’exécutif était saisissant: un milliard de francs !

Partout, des bénéfices

Après avoir annoncé un déficit de 758 millions, le canton de Zurich a de son côté bouclé l’année 2021 sur un bénéfice de 926 millions. Argovie a engrangé 314 millions d’excédents, après avoir tablé sur un déficit de 114 millions. Vaud, Saint-Gall, Fribourg... En 2021, le contraste entre des prévisions budgétaires déficitaires et des bénéfices trébuchants a été la norme. «À l’exception de trois cantons, tous les bilans sont nettement positifs, alors que les budgets étaient dans le rouge presque partout» résume Reto Wyss, économiste à l’Union syndicale suisse (USS). Et de souligner: «En pleine pandémie, les cantons ont réalisé un excédent cumulé de 2,7 milliards dans leurs comptes de résultats». Une situation qui a amené le Sonntagsblick à titrer: «Les cantons et les communes nagent dans l’argent»[1]!

Pessimisme politique

Pour 2021, les ministres cantonaux des finances tablaient dans leurs budgets sur un déficit cumulé de 2,5 milliards. Ils se sont donc trompés à hauteur de 5,2 milliards. Comment expliquer de tels écarts? Reto Wyss avance trois explications: d’abord, la «vieille habitude» des directeurs et directrices des finances consistant à faire des budgets massivement à côté de la plaque – ce qui permet de garder les dépenses sous pression; deuxièmement, le fait que les cantons ont réussi à faire assumer par la Confédération les 90% des charges supplémentaires liées aux mesures de soutien en temps de pandémie; enfin, on a assisté à une croissance des recettes fiscales dans presque tous les cantons – ce qui reflète la santé financière des secteurs de poids de l’économie helvétique, malgré la crise et les baisses du taux d’imposition sur les bénéfices entraînées par la dernière réforme fiscale (RFFA), entrée en vigueur en 2020 dans la plupart des cantons.

Que faire du magot?

Ces bénéfices inespérés pourraient être l’occasion d’investir dans des secteurs importants pour la population, fonctionnant souvent en sous-effectif – comme la santé, l’éducation, le social, l’accueil des migrant·e·s ou la transition verte. Ce n’est malheureusement pas l’option privilégiée par les exécutifs. «Dans la plupart des cantons, une grande partie des excédents qui dépassent les prévisions est immédiatement versée dans les caisses destinées aux freins à l’endettement», dénonce Reto Wyss. Conséquence: ces montants accroissent la fortune des cantons au lieu d’être utilisés pour répondre aux besoins de la population. Au cours des quinze dernières années, le patrimoine des collectivités publiques a ainsi connu une croissance vertigineuse, tandis que le taux d’endettement a plongé.

Les exécutifs privilégient aussi une deuxième mesure: «Dans plus de la moitié des cantons, les taux et coefficients d’imposition des personnes morales et/ou physiques ont été réduits dans le cadre des derniers débats budgétaires – ou de telles décisions sont sur le point d’être prises». Or de telles baisses d’impôts favorisent automatiquement les grandes entreprises et les couches sociales les plus aisées – qui se verront ainsi reverser une partie des excédents.

En finir avec le sous-investissement

Selon Reto Wyss, c’est une autre piste qui devrait être explorée. Les bénéfices réalisés par les cantons – malgré des taux d’imposition historiquement bas – sont le signe que les collectivités ne dépensent pas assez, souligne l’économiste. Et de prendre l’exemple du système de santé: «Nulle part ailleurs en Europe, l’Etat n’alloue aussi peu d’argent public au financement des soins de base», dénonce l’économiste. En effet, l’écrasante majorité des dépenses liées à la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) est financée par les ménages – via les primes individuelles et la participation aux coûts. Alors que les caisses maladie annoncent de nouvelles hausses cet automne, les cantons ont largement les moyens d’augmenter les montants destinés à réduire la charge des primes pour les ménages, souligne Reto Wyss. Une mesure qui pourrait aller de pair avec des investissements visant à répondre aux besoins du personnel et des usagers dans les secteurs clés du service public. Il reste du chemin à faire: dix cantons envisagent de baisser leurs investissements nets en 2022 !


[1] Sonntagsblick, 3 avril 2022.