La droite se sent pousser des ailes

de: Services Publics

Après la votation du 25 septembre, la droite veut poursuivre son offensive. Sur le terrain des retraites et au-delà. Dans cet objectif, les femmes bourgeoises montent au créneau pour repeindre le néolibéralisme en violet.

Valdemar Verissimo

«La signification historique de ce vote réside avant tout dans sa force symbolique (…) Le camp rouge-vert a perdu son aura d’invincibilité» sur les retraites, se réjouissait la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le quotidien de la place financière zurichoise, au lendemain de l’acceptation sur le fil du projet AVS 21 [1].

De la suite dans les idées

Le camp bourgeois entend bien continuer sur sa lancée. «La discussion sur l’âge de la retraite est urgente» écrivait Arno Schmoker dans le journal financier Finanz und Wirtschaft (appartenant au groupe TX Media), trois jours après le résultat des votations [2]. «L’idéal serait de lier cette élévation à l’espérance de vie, un automatisme qui permettrait de soustraire l’AVS aux influences politiques contreproductives». Par «influences politiques contreproductives», M. Schmoker entend bien sûr les forces syndicales, sociales et politiques qui se battent pour un renforcement du 1er pilier et contre toute élévation de l’âge de la retraite.

«Fort heureusement, les autorités fédérales ont pris les devants. Adoptée par les deux Chambres et acceptée par le Conseil fédéral, la motion ´Mandat concernant la prochaine réforme de l’AVS` charge le gouvernement de présenter, d’ici au 31 décembre 2026, un projet de stabilisation de l’AVS pour la période 2030 à 2040» se réjouit Marco Taddei, de l’Union patronale suisse. Ces prochaines années, l’offensive contre les retraites se poursuivra donc à un rythme soutenu.

Bourgeoises et fières de l’être

Ce n’est pas le seul terrain sur lequel la droite se sent pousser des ailes. Un trait marquant de la campagne autour d’AVS 21 a été l’affirmation d’une série de figures féminines, issues des partis bourgeois et des associations patronales. Ces femmes de droite ont été aux avant-postes de la bataille visant à allonger la durée du travail. «Nous avons voté en faveur de l’élévation de l’âge de la retraite. Nous ne sommes pas de vieux hommes blancs, mais des femmes d’âges différents» revendiquent ainsi Béatrice Acklin Zimmerman, la directrice du think tank de droite Liberethica et Jill Nussbaumer, vice-présidence des jeunes libéraux suisses. Leur propos: dénoncer le discours «victimisant» des femmes descendues dans la rue pour dénoncer le résultat du 25 septembre [3]. Et ancrer dans la durée un «féminisme de droite», dont la mission sera de «briser le monopole rouge-vert sur la politique en matière de femmes et de considérer le thème de l'égalité de manière objective, sans en s'éloignant des sempiternels `mythes de la victime`».

Néolibéralisme en violet

Katharina Fontana, journaliste ultraconservatrice à la NZZ, a déjà précisé les contours de cette politique d’égalité «objective», remise à la sauce néolibérale [4]: 1. nier la réalité structurelle des inégalités salariales, car «il n'est pas possible de prouver que les femmes sont globalement et injustement désavantagées». 2. Réduire les inégalités de retraite à un choix individuel, qui serait celui de «travailler moins». 3. En finir avec les revendications «luxueuses» en matière de social, comme les crèches gratuites ou les congés parentaux étendus. 4. Repenser le système d’imposition pour ne plus «décourager le travail des femmes», par exemple en abolissant la progressivité de l’impôt sur le revenu.

En résumé: un programme qui propose de jeter aux oubliettes les revendications égalitaires portées par la Grève féministe et mise délibérément sur un renforcement des inégalités entre classes sociales, tout en se réclamant du «féminisme».

Un fossé de classe

«Le débat sur la réforme de l’AVS a creusé un fossé», souligne la NZZ am Sonntag [5]. Il s’agit d’un fossé de classe: celui qui sépare les femmes bourgeoises partisanes d’un néolibéralisme brutal de l’immense majorité des femmes vivant et travaillant dans ce pays – dont la visibilité dans cette campagne a été inversement proportionnelle à l’impact qu’aura une année de boulot en plus sur leur réalité. Un fossé que les femmes bourgeoises sont prêtes à creuser encore plus profondément – et qui déterminera largement le contexte de la prochaine Grève féministe, agendée en juin 2023.


[1] NZZ, 26 septembre 2022.

[2] Finanz und Wirtschaft, 28 septembre 2022.

[3] NZZ, 5 octobre 2022.

[4] NZZ, 4 octobre 2022.

[5] NZZ am Sonntag, 9 octobre 2022.