Discrimination salariale aux soins intensifs

de: Beatriz Rosende, secrétaire centrale SSP

Une délégation du personnel des soins intensifs de l’Hôpital Riviera-Chablais se bat pour une égalité salariale entre personnels formés en Suisse et à l’étranger. Entretien avec Charline*, infirmière en soins intensifs.

photo Eric Roset

Pourquoi une spécialisation est-elle nécessaire?
Les soins intensifs sont un milieu complexe, qui prend en charge des patient·e·s en situation critique: la vie est menacée ou risque de l’être. Dans cet environnement spécifique, nous travaillons avec des médecins eux-mêmes et elles-mêmes spécialisé·e·s, entouré·e·s d’équipements techniques; nous devons avoir des connaissances en physiopathologie, en pharmacologie et des processus de prise charge cliniques compliqués. Et puis s’occuper des patient·e·s et des familles demande aussi des compétences relationnelles. Évidemment, il faut des soins 24 heures sur 24, avec des besoins de haute intensité. Dans notre service, les médecins sont peu présent·e·s auprès des patient·e·s, nous devons être très autonomes et assumons de grandes responsabilités.

Quels autres pays européens proposent des spécialisations de ce type?
Dans notre service, nous avons des collègues formé·e·s en Belgique, avec une formation mixte en soins intensifs et aide médicale urgente (SIAMU); en Allemagne du Sud, qui propose une formation assez comparable à la Suisse; nous avons travaillé avec des collègues formé·e·s en Italie ou en Espagne avec formations de type universitaire. En Suisse, la spécialisation dure deux ans en cours d’emploi, avec une formation théorique et de pratique accompagnée.

Constates-tu des différences selon l’origine de la formation?
En théorie, il n’y a pas de différence, mais forcément le travail dans un hôpital change d’un pays à l’autre (même en Suisse, d’un hôpital à l’autre d’ailleurs). Se former en Suisse te rend immédiatement plus compatible, mais à la longue, nous sommes au même niveau. Les jeunes qui sortent de formation et les «Européens» arrivent avec des besoins d’encadrement différents. Cela dit, on voit bien que normalement, les collègues qui ont eu de l’expérience ailleurs sont rapidement mis·es à jour. Ça dépend aussi d’où viennent les collègues, s’ils·elles sortent d’un CHU, l’intensité et la complexité des patient·e·s les ont vite «mis·es au niveau attendu».

C’est très personnel aussi. Avec un bon encadrement en fonction, on peut devenir rapidement efficace. Mais nous voyons aussi des collègues infirmiers·ères qui tentent la formation en Suisse et qui abandonnent. Ce sont des formations très exigeantes: tout le monde ne peut pas entrer dans un processus de formation d’adultes.

Quelle est la différence salariale dans ton service entre les expert·e·s en soins intensifs diplômé·e·s EPD ES suisses et les autres?
Entre 6000 et 10 000 francs par année (entre 4 et 6 classes en moins dans notre système). C’est énorme! Des collègues qui ont postulé chez nous sont parti·e·s ailleurs avec de meilleurs salaires. Une collègue engagée quelques mois en CDD est déjà partie. C’est pour ça aussi qu’on se bat: on doit pouvoir garder les collègues compétent·e·s sinon on va continuer de s’épuiser.

Comment une telle différence salariale est-elle justifiée par les responsables du service?
Les responsables prétendaient que la Société suisse de soins intensifs (SSMI) exigeait que toutes et tous soient des Experts EPD ES en Soins Intensifs (SI) — c’est le titre officiel —, donc disposent du diplôme suisse, et que sans cette reconnaissance c’est le service tout entier qui ne serait pas reconnu. Plusieurs collègues avec une spécialisation étrangère ont alors été «coincé·e·s» dans un processus de reconnaissance très opaque et pesant. Certain·e·s ont abandonné complètement écœuré·e·s; il faut savoir que pour certain·e·s, elles et ils avaient travaillé des dizaines d’années dans un service comme le nôtre, lorsqu’on leur a demandé de faire une reconnaissance, et tant que la reconnaissance n’était pas faite, elles et ils ont eu droit à une baisse de salaire!

La SSMI dit pourtant que ces collègues étrangers·ères peuvent être reconnu·e·s sans trop de difficultés par les cadres qui doivent attester de compétences listées dans une grille d’équivalence. Nous avons l’impression que nos responsables font une mauvaise interprétation des exigences de la SSMI. Cette dernière ne dit pas que tant que l’équivalence n’est pas faite, le salaire doit être réduit. Cette posture qui mélange salaires et reconnaissance officielle n’est pas correcte, surtout que nous travaillons ensemble avec un même cahier des charges.

La Société suisse de soins intensifs a-t-elle une position sur cette problématique?
Oui, elle dit que la reconnaissance dépend de l’employeur, bien qu’elle encourage à entreprendre une formation complémentaire, qui coûte très cher…

Est-ce que ce problème concerne aussi les autres spécialisations comme l’anesthésie ou les urgences?
Non, justement. Chez nous, par exemple, les collègues belges sont immédiatement reconnu·e·s comme spécialisé·e·s aux urgences et leur classe salariale identique aux certifié·e·s suisses… Pour l’anesthésie, quelle que soit l’origine des diplômes, il n’y a pas de distinction salariale…

Est-il vrai que les services de soins intensifs rencontrent des difficultés à recruter du personnel qualifié?
Oui! Mais je dirais surtout qu’on a des difficultés à garder les personnes. Une alternative est de baisser son taux d’activité et ce n’est pas toujours possible. Les conditions de travail et le stress inhérents à ce type de service n’aident pas. C’est désespérant car on a l’impression que rien n’est fait rien pour nous garder. Les SIAMU non reconnu·e·s, à terme, s’en vont!

*Prénom d’emprunt


Toujours ensemble à Berne le 26 novembre 2022

2020, les syndicats du secteur santé appelaient à une manifestation unitaire nationale à Berne. Cette année-là, alors que les pays voisins annonçaient une prime COVID, en Suisse, pas l’ombre d’une reconnaissance à l’exception de quelques babioles ci et là. Nous avons réclamé cette prime avec force. Les primes COVID ont fini par arriver, même si pas pour toutes et tous, même si pas aussi généreuses qu’on l’aurait souhaité.

2021, les mêmes retournent à Berne, cette fois pour appeler la population à voter OUI à l’initiative pour des soins forts et pour des augmentations de salaires des personnels de santé. Nous avons largement gagné la votation, et nous avons commencé à engranger quelques améliorations salariales.

Cette année, nous retournons à Berne, ensemble avec les autres syndicats, pour continuer la mobilisation. Il y a de quoi manifester: des salaires toujours trop bas, des cantons comme celui de Neuchâtel ou du Jura qui à ce stade ont prévu 0 franc au budget pour indexer les salaires des personnels soignants. Ailleurs, le top des projets d’indexation dans le secteur santé plafonne à 2%, alors qu’il faudrait un 5% pour maintenir le niveau de vie de 2021, alors que nous réclamons de réelles hausses de salaire.

Rendez-vous à 14 h sur la place Fédérale le 26 novembre, avec vos collègues, vos pancartes et notre colère.


Plus d'infos sur www.ssp-vpod.ch/sante-en-alerte. Le SSP prend en charge les frais de transports publics pour ses membres !