Une stratégie contre l'égalité

de: Michela Bovolenta, secrétaire centrale

Fin avril, le Conseil fédéral a adopté une stratégie nationale visant « à promouvoir spécifiquement l’égalité entre les femmes et les hommes ». Intitulée Égalité 2030, elle rate complètement l’objectif déclaré.

photo Eric Roset

Il y a quelques semaines, le Conseil fédéral a présenté sa stratégie Égalité 2030 (1). De prime abord, il s’agit d’une bonne nouvelle: après l’immense grève féministe et des femmes* du 14 juin 2019, alors que le pays célèbre les 50 ans du droit de vote des femmes et les 30 ans de l’introduction de l’article constitutionnel sur l’égalité, le politique se saisit enfin d’un plan pour l’égalité.

Derrière les jolies formules…
Le Conseil fédéral n’a pas lésiné sur la communication et affiche un bel objectif: « Les femmes comme les hommes participent à égalité à la vie économique, familiale et sociale. Ils bénéficient de la même sécurité sociale tout au long de leur vie et se réalisent dans un environnement respectueux, sans subir ni discrimination ni violence ». Le plan vise quatre thèmes principaux: la promotion de l’égalité dans la vie professionnelle, l’amélioration de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, la prévention de la violence et la lutte contre la discrimination.

…Rien de neuf
Et pourtant. Au-delà des belles phrases d’introduction, la déception est grande. Globalement, on ne trouve aucune mesure nouvelle, mais une synthèse des mesures déjà en cours ou envisagées. Sur nombre de points, le Conseil fédéral renvoie la balle plus loin. Il considère ainsi que « le questionnement des stéréotypes de genre à l’école et dans la formation est largement de la compétence des cantons »; que « la facilitation de la conciliation relève aussi prioritairement de la compétence des cantons et des communes, mais aussi des partenaires sociaux »; ou encore que, en matière de lutte contre la violence envers les femmes et la violence domestique, « la compétence relève prioritairement des cantons ». Lorsqu’il se risque à aller plus loin, c’est souvent pour « examiner l’opportunité de », « établir un rapport sur », « lancer un dialogue politique ou stratégique avec ». À ce rythme, l’égalité n’est pas pour demain. Sauf pour ce qui est de l’égalité à l’envers !

La Retraite à 65 ans !
Le Conseil fédéral affirme que « la situation des femmes en matière de rentes est considérablement améliorée ». Une fois de plus, il ne propose pourtant rien de nouveau, affirmant simplement vouloir « aligner l’âge de la retraite des femmes sur celui des hommes ». En clair, l’exécutif veut augmenter l’âge de la retraite des femmes. Une mesure qui résume bien une vision de l’égalité par le bas, élitiste et ne s’adressant aucunement aux 99% des femmes de ce pays.

Un constat accablant. L’annexe au plan, intitulée « Situation actuelle et statistique », montre clairement que la politique en matière d’égalité est lacunaire: les stéréotypes et une éducation genrée continuent de déterminer les choix de formation professionnelle, puis les parcours sur le marché du travail. Cela se traduit ensuite par des inégalités en termes de salaires, de taux d’activité et de carrières; le travail domestique et familial, ainsi que la prise en charge des enfants, restent l’apanage des femmes. Ces activités réduisent l’autonomie économique des salariées tout au long de leur vie, y compris à la retraite; la pauvreté frappe davantage les foyers monoparentaux, qui sont à plus de 80% composés d’une mère et de ses enfants; la majorité des salaires inférieurs à 4000 francs pour un plein temps sont féminins; plus de 55 délits de violence domestique sont commis chaque jour et, dans près de trois cas sur quatre, ils concernent des femmes. Sans oublier que le Covid 19 a exacerbé les inégalités et frappé particulièrement les femmes.

Pas de solutions, ni de ressources
Or le plan Égalité 2030 ne prend aucune mesure pour s’attaquer sérieusement à ces inégalités. Et il ignore superbement les revendications du Manifeste de la grève féministe et des femmes*, défendues par des centaines de milliers de personnes le 14 juin 2019 !

Côté finances, le Conseil fédéral ne prévoit aucun budget supplémentaire et assure que « les mesures prévues pour mettre en œuvre la stratégie seront intégrées autant que possible dans les structures actuelles et financées avec les ressources existantes ». Il n’exclut pas que des offices fédéraux demandent des ressources supplémentaires, sans évaluer leurs chances de les obtenir.

La route vers l’égalité dans les faits semble encore bien longue, et notre mobilisation toujours aussi nécessaire !

Des revendications ignorées
Égalité 2030 ne répond aucunement aux revendications féministes – qu’il s’agisse de celles contenues dans le Manifeste de la grève féministe et des femmes*, ou de celles que le SSP avait élaborées pour le secteur public et subventionné (2).

Égalité professionnelle
Pour réaliser l’égalité des salaires, il est indispensable de valoriser les métiers majoritairement féminins, notamment dans le secteur de la santé et de l’accueil de l’enfance. Pour donner suite à cette revendication, la présidente du SSP, Katharina Prelicz, aussi conseillère nationale (Les Verts), avait déposé une motion intitulée « Revalorisons les métiers féminins dans les soins et l’accompagnement (3)». Le Conseil fédéral a rejeté cette motion, considérant qu’il ne faut pas prendre de mesures supplémentaires ! Dans Égalité 2030, l’exécutif poursuit une politique inefficace et élitiste. Il propose d’augmenter le nombre de femmes occupant des postes à responsabilité, une mesure qui ne concerne qu’une minorité de salariées. Ou encore de laisser les employeurs mener des analyses de salaires (Logib) pour vérifier si une discrimination existe dans leur entreprise. Or ces analyses, déjà obligatoires aujourd’hui, se limitent à la part dite « inexplicable » de l’inégalité salariale, sans aucune obligation de corriger un éventuel écart ! De telles mesures ont déjà montré leur inefficacité. Ce qu’il faut, c’est un salaire minimum, des contrôles étatiques et des sanctions.

Conciliation travail et famille
Il manque des places d’accueil, les parents payent ces dernières trop cher en raison de subventions insuffisantes et le personnel de ces structures d’accueil devrait bénéficier de meilleures conditions de travail et de salaires plus élevés. Pourtant, le Conseil fédéral se contente de proposer un « dialogue politique » sur la conciliation avec les cantons, les communes et les partenaires sociaux. Rien que du blabla ! Il est au contraire nécessaire de transformer l’accueil de l’enfance en service public à part entière, gratuit pour les parents et assurant de bonnes conditions de travail au personnel.

Le Conseil fédéral réussit aussi l’exploit de ne pas écrire un mot sur le congé parental, une mesure basique si on veut avancer en matière de conciliation entre travail et famille. Pour nous, il est aussi nécessaire de lancer un vrai débat sur la diminution de temps de travail, dans un pays où la loi sur le travail prévoit des semaines de 45 heures et plus !

Violence
Des mots et peu d’actions aussi en matière de lutte contre les violences de genre: le Conseil fédéral prévoit un dialogue stratégique sur la violence domestique, ainsi qu’une feuille de route de la Confédération et des cantons. Pendant ce temps, les féminicides et les violences sexistes vont continuer. Si des mesures de soutien financier sont accordées à des projets et programmes de prévention de la violence, aucun montant n’est articulé. Pas un mot n’est dépensé au sujet du harcèlement sexuel sur le lieu de travail, pourtant interdit par la loi. Il serait pourtant simple et urgent de réviser la Loi sur l’égalité pour, au minimum, introduire le renversement du fardeau de la preuve !

Discrimination
Le Conseil fédéral affiche l’objectif louable d’une tolérance zéro en matière de discrimination, de sexisme et de stéréotypes de genre. Mais là aussi, les mesures semblent faibles au regard des défis: une analyse, certes approfondie sur le droit fédéral, de l’information et de la sensibilisation, ainsi qu’un monitoring. La fin des discriminations sexiste n’est pas pour demain.


(1) Communiqué de presse du Conseil fédéral, 28 avril 2021: https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques/communiques-conseil-federal.msg-id-83294.html

(2) Retrouvez ces documents ici: https://ssp-vpod.ch/campagnes/greve-des-femmes/materiel/revendications-et-manifeste/

(3) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20213082