Pas tous à la même école

de: Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics

Pour nombre d’exilé-e-s, le droit à l’éducation reste souvent lettre morte. Forte de 19'200 signatures, l’association «Éducation pour tous» revendique un accès universel à la formation, quel que soit le permis de séjour.

Photo Eric Roset

En Suisse, le droit à l’éducation reste théorique pour la population la plus précaire. L’accès à la formation est notamment une course d’obstacles pour les requérant-e-s d’asile, les réfugié-e-s et les sans-papiers. Avec le principe suivant: plus le statut de séjour est instable, plus l’accès à l’éducation est réduit. Une situation «scandaleuse» dénoncée par le SSP, Solidarité sans frontières (Sosf) et l’Union des étudiant-e-s de Suisse (Unes). Le 22 septembre, réunies au sein de l’association «Éducation pour tous – maintenant!», ces entités ont déposé une pétition à Berne. Muni de 19'209 signatures, le texte exige que le droit à l’éducation soit garanti indépendamment du statut de séjour – et ce, à tous les niveaux du système de formation.

Précaires cours de langue

Avant la remise de la pétition, plusieurs exilé-e-s ont témoigné des haies à franchir pour pouvoir rêver d’un avenir professionnel. Le premier obstacle se pose dès l’arrivée en Suisse. Avant d’obtenir un permis de séjour – un parcours qui peut durer des années –, beaucoup n’ont pas droit à des cours. Pour maîtriser une des trois langues nationales, ils et elles ne peuvent compter que sur leur ténacité – et le soutien des associations d’entraide.

Qualifications refusées

Ce premier cap franchi, certain-e-s voient ensuite leurs rêves s’écrouler. Khouloud, jeune Syrienne âgée de 23 ans, avait étudié la médecine durant cinq semestres avant de fuir la guerre. «En Suisse, j’ai appris que je ne peux pas étudier la médecine, car je n’ai qu’un permis F (admission provisoire). Et mon diplôme de maturité n’est pas valable». Khouloud a mis un moment pour digérer le choc. Aujourd’hui, elle cherche un apprentissage dans les technologies de l’information.

Nusret, procureur en Turquie, a dû fuir le régime Erdogan. Son cursus universitaire et son expérience n’étant pas reconnus, ce père de trois enfants doit reprendre une formation de zéro à l’âge de 40 ans, sans droit à une bourse. Sa commune de domicile aimerait qu’il commence à travailler tout de suite. Il cherche tout de même un apprentissage dans le social.

«Beaucoup d’exilé-e-s arrivent de pays comme l’Érythrée, la Syrie ou la Turquie avec de hautes qualifications et des années d’expérience. Leur bagage n’étant pas reconnu, ils finissent souvent dans des secteurs à très bas salaires. C’est une perte pour eux, mais aussi pour la Suisse» déplore Sabine Zurschmitten, de l’Union des étudiant-e-s de Suisse.

«Le cumul d’obstacles financiers et administratifs empêchent nombre de réfugié-e-s de conclure une attestation de formation professionnelle ou un certificat fédéral. Quant aux formations continues, leur coût est souvent prohibitif» ajoute Katharina Prelicz-Huber, présidente du SSP et conseillère nationale (Les Verts).

Sans papiers, sans avenir

«Je rêvais de travailler dans la santé ou dans la gastronomie. Mais… peut-être dans une autre vie.» Shewit, jeune Soudanaise arrivée en Suisse en 2019, se retrouve sans perspectives depuis qu’elle a reçu une décision d’asile négative. Compliquée pour les réfugié-e-s et les admissions provisoires, la situation devient insoluble pour les requérant-e-s d’asile débouté-e-s et les jeunes sans-papiers. L’accès à la formation et au marché du travail légal leur est interdit – même si certains cantons autorisent la conclusion d’un apprentissage entamé avant un refus de l’asile.

Et les enfants?

La Constitution fédérale garantit le droit à l’enseignement scolaire de base à toutes et tous. Pour les enfants vivant au sein des centres fédéraux d’asile (CFA), sa concrétisation est cependant loin d’être simple. Si leur scolarisation est désormais garantie au sein des CFA, les conditions de vie précaires y rendent l’apprentissage difficile. Quant à la durée des cours et au contenu des programmes, ils varient selon les cantons.

«Une scolarisation prolongée au sein de classes séparées peut aussi bloquer le développement des élèves» souligne Sandra Locher Benguerel, enseignante et conseillère nationale (PS). «Le logement dans des appartements familiaux et l’intégration à l’école publique doivent se faire le plus rapidement possible. Cela implique des ressources supplémentaires pour les écoles et les enseignant-e-s».

Dans la durée

«Il est urgent de faciliter l’accès à l’éducation. C’est une question d’égalité» résume Johannes Gruber, secrétaire syndical au SSP. Soutenue par seize organisations et associations, la campagne «Éducation pour tous» adresse six revendications principales aux autorités fédérales et cantonales. Et entend s’inscrire dans la durée. Au programme: de nouvelles actions de sensibilisation et le dépôt de plusieurs objets parlementaires.


Repérages

Six revendications pour démocratiser l’éducation

Adressée aux parlementaires, au Conseil fédéral et aux Cantons, la pétition Éducation pour tous» leur demande de lever les obstacles qui se dressent entre le système de formation et les requérant-e-s d’asile, les réfugié-e-s statutaires, les personnes disposant d’une autorisation provisoire et les sans-papiers. Elle détaille six revendications:

  • Au niveau de l’«Agenda Intégration Suisse», mis sur pied afin de garantir la participation économique et sociale des réfugié-e-s reconnu-e-s et des personnes admises provisoirement (permis F): ce dernier doit garantir le droit et l'accès à l'éducation pour toutes et tous, indépendamment du statut de séjour et en fonction du potentiel de chacun et chacune.
  • Au niveau de l’enseignement primaire et du secondaire I: les enfants exilé-e-s et leurs familles doivent être rapidement hébergé-e-s dans des lieux adaptés et intégrés dans les classes ordinaires de l'école obligatoire.
  • Au niveau du secondaire II: les jeunes exilé-e-s en âge de scolarité post-obligatoire ont besoin d'une formation à part entière et à temps plein, de programmes de préparation professionnelle plus généreux et de soutien et d'encouragement, également pour le gymnase.
  • Les personnes qui suivent une formation doivent pouvoir la terminer même si leur demande d’asile est rejetée.
  • La Confédération, les cantons et les hautes écoles doivent veiller à ce que les personnes exilées arrivant avec une formation de niveau supérieur soient soutenues dans l'accès aux hautes écoles et que leurs diplômes soient mieux reconnus.
  • L’ensemble de la population, y compris les exilé-e-s, devrait pouvoir profiter d’offres de formation continue, même à l'âge adulte.

Contexte

Un droit… sur le papier

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) garantit le droit à la fréquentation gratuite de l’enseignement scolaire de base pour toutes et tous, jusqu’à 18 ans révolus, indépendamment du statut de séjour. Certains traités internationaux élargissent ce droit à l’enseignement post-obligatoire et à la formation professionnelle.

En Suisse, l’article 19 de la Constitution fédérale prévoit le droit «à un enseignement de base suffisant et gratuit». Dans la plupart des cantons, ce droit s’éteint dès le 16e anniversaire.

Dans le post-obligatoire helvétique, l’accès à l’éducation se résume à un objectif politique: 95% des jeunes de 25 ans devraient obtenir un diplôme de secondaire II (apprentissage ou maturité). Dans ce cadre, la loi sur la formation professionnelle et son ordonnance se fixent pour but de promouvoir l’égalité des chances et l’intégration des personnes étrangères. Elles demandent aussi aux cantons de préparer les jeunes présentant des déficits scolaires à une formation professionnelle initiale, dès la fin de la scolarité obligatoire. De son côté, l’Agenda intégration encourage spécifiquement la participation des réfugié-e-s.

Dans les faits, l’accès à l’éducation reste très inégal selon la nationalité et le statut de séjour. Si 93% des détenteurs-trices d’un passeport suisse ont, à 25 ans, un diplôme de secondaire II en poche, les jeunes issu-e-s de la migration ne sont que 77% dans ce cas. Au même âge, 20% des personnes migrantes non nées en Suisse n’ont ni diplôme d’apprentissage, ni certificat de fin d’études secondaires. Si les données détaillées manquent, le chiffre est certainement plus élevé pour les personnes issues de l’asile. Une étude menée par le cabinet Bass (2019) indique que 40% des personnes âgées entre 16 et 24 ans et ayant migré en Suisse entre 2008 et 2017 n’avaient conclu aucun diplôme de secondaire II.

«L’accès à l’éducation est semé d’embûches juridiques et pratiques, en particulier pour les personnes requérantes d’asile, celles qui sont admises provisoirement ou celles qui n’ont pas de statut de séjour », résume l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers (ODAE) [1].


[1] ODAE: Accéder à l’éducation indépendamment du droit de séjour. 2021.