Non à la loi sur le terrorisme!

de: Clara Blaser, juriste. Article paru dans «Services Publics» n°8, 7 mai 2021

Le 13 juin, la loi sur le terrorisme sera mise en votation. Ce texte liberticide viole les droits des enfants et permettrait de criminaliser militantes et militants sociaux. Éclairage.

Photo Valdemar Verissimo

La loi sur le terrorisme (ou Mesures policières de lutte contre le terrorisme, MPT) vient compléter l’arsenal de la Stratégie de la Suisse pour la lutte contre le terrorisme, mise en œuvre depuis 2015.

De la prévention…

Dans le cadre de cette stratégie, le Plan d’action nationale de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent (PAN) a été adopté en 2017. Il vise une détection et une intervention précoces des actes de violence radicale. Les cantons ont été chargés d’instaurer des mesures sociales, intégratives voire thérapeutiques à l’encontre de personnes «radicalisées». On a ainsi pu voir des affiches incitant la société civile à signaler les personnes «dont le comportement peut laisser penser à un rapprochement avec des individus ou des idéologies menant à la violence». Les personnes dénoncées doivent se soumettre à des entretiens avec différents professionnel-le-s (psychologues, assistantes et assistants sociaux ou encore personnel de la police et de l’exécution des peines).

Ce type de prévention instille une suspicion générale au sein de la société. Cela peut mener à toute sorte de dérives, notamment à des dénonciations mensongères. Enfin, on ignore tout du traitement des données récoltées par le biais de ces dénonciations, ainsi que des conséquences pour les personnes visées.

… À la répression préventive

En cas d’adoption de la loi sur le terrorisme, il sera possible d’ordonner des mesures policières si les mesures prévues par le PAN ont échoué ou ne peuvent atteindre leur but. Dans ce cadre, l’Office fédéral de la police (Fedpol) sera chargé de prononcer les mesures suivantes: obligation de se présenter et de participer à des entretiens; interdiction de contact; interdiction de périmètre; interdiction de quitter le territoire; assignation à résidence; interdiction de se rendre dans un pays donné; surveillance électronique et localisation par téléphonie mobile.

Ces mesures seront ordonnées sans qu’aucune infraction ne soit commise. Les droits du prévenu prévus dans le cadre d’une procédure pénale ne seront dès lors pas applicables. Fedpol devra agir en amont, lorsque des indices concrets et actuels (lire ci-contre) laisseraient à penser que des infractions pourraient être commises. Cela signifie que les MPT sanctionneront des idées ou des opinions.

Dès 12 ans, des enfants pourront être soumis-e-s aux MPT, excepté pour l’assignation à résidence – dès 15 ans. Ces dispositions violent les engagements internationaux de la Suisse. Un enfant ou un-e adolescent-e n’a pas les capacités d’évaluer la portée de ses paroles ou de ses agissements de la même façon qu’un adulte. Les soumettre aux mêmes outils répressifs que les adultes est disproportionné et marque une claire régression des droits de l’enfant.

Réprimer les militant-e-s

Les notions vagues contenues dans la loi sur le terrorisme (lire ci-contre) ouvrent la porte à une interprétation large de la définition de «terroristes potentiel-le-s» et d’ «activités terroristes». Celle-ci permettra leur application à des militant-e-s. Un tel glissement a pu être constaté en France: dans le cadre de l’état d’urgence mis en place après les attentats du 13 novembre 2015, des assignations à résidence ont été prononcées à l’encontre de militant-e-s écologistes lors de la COP21. En Suisse, le risque que les MPT soient prononcées pour réprimer de simples opinions divergeant «des valeurs de la Constitution» est réel. En effet, tout-e militant-e pour le climat, anticapitaliste ou contestataire souhaite, d’une manière ou d’une autre, «influencer ou modifier l’ordre étatique». Il s’agit également de dissuader les activistes d’agir en dehors de toute politique institutionnelle et du cadre strictement légal. Une telle standardisation des activités politiques est contraire aux droits fondamentaux et aux valeurs démocratiques que les partisans des MPT prétendent défendre.

… et les musulman-e-s

Les politiques de lutte contre le terrorisme assimilent l’islam au terrorisme. Cette assimilation est omniprésente dans le message du Conseil fédéral et dans la campagne en faveur des MPT. Leur acceptation aggraverait les discriminations envers ces communautés. Or, les musulman-e-s ou perçu-e-s comme tel-le-s sont déjà victimes de profilages et font plus souvent l’objet de mesures de surveillance, de restrictions de leurs mouvements, d’arrestations et d’expulsions.

Le prétexte de la lutte contre le terrorisme nous fait consentir à l’adoption de mesures de surveillance, de prévention et de répression qui empiètent toujours plus sur nos droits fondamentaux. Un lourd tribut à payer au nom de notre sécurité, pour des résultats difficilement perceptibles.

En 2016, la loi sur le renseignement a été adoptée en votation populaire. Aujourd’hui, il est nécessaire de faire barrage aux politiques liberticides et de voter Non aux MPT.


Le pouvoir de la Fedpol

Les mesures policières prévues par la loi sur le terrorisme pourront être prononcées pour une durée de six mois, prolongeable de six mois supplémentaires. En cas de nouveaux «indices», une nouvelle mesure pourra être prononcée pour la même durée.

En ce qui concerne l’assignation à domicile, elle est limitée à trois mois, prolongeable pour la même durée à deux reprises, soit au maximum neuf mois.

Ces mesures seront du seul ressort de Fedpol, à l’exception de l’assignation à résidence, dont l’application reviendra au Tribunal des mesures de contrainte du canton de Berne, sur réquisition de la police fédérale. Les personnes qui feront l’objet de telles mesures pourront recourir auprès du Tribunal administratif fédéral. Toutefois, un tel recours n’aura pas d’effet suspensif. Enfin, celui ou celle qui ne respecterait pas une mesure pourra être puni-e d’une peine privative de liberté de trois ans au plus, ou d’une peine pécuniaire.

La police fédérale et les autorités cantonales compétentes pourront traiter les informations sensibles de «terroristes potentiel-le-s» et de tiers en lien avec eux-elles, notamment les données sur les opinions ou les activités religieuses et philosophiques, ou encore sur leur santé.

Ces données pourront être échangées notamment par les autorités fédérales et cantonales de police et de poursuite pénale, les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte, les écoles et autorités en charge de la formation, les bureaux de l’intégration, les contrôles des habitants et de l’immigration ainsi que les services sociaux.

Il est effarant de constater que Fedpol aura accès à de nombreux canaux pour récolter des informations à l’encontre de personnes visées par ses enquêtes, mais également de tiers!


Un like, indice de radicalisation?

Un risque de dérives bien réel

Les activités terroristes sont définies par la loi sur le terrorisme comme «des actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infrac­tions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte.»

Cette définition, déjà présente dans la loi sur le renseignement, est intentionnellement large et permettra de définir comme terroristes des activités politiques ou religieuses.

Par terroriste potentiel-le, la loi entend une personne dont on présume, sur la base d’indices concrets et actuels, qu’elle mènera des activités terroristes.

Les mesures policières ont pour but de prévenir la commission d’infractions. Elles seront prises par les policiers fédéraux en cas d’«indices concrets et actuels» que des infractions pourraient être commises. Le message du Conseil fédéral indique qu’il existe des indices concrets et actuels lorsque lorsqu’une personne se retire toujours plus de son réseau social habituel et commence à fréquenter un milieu appelant à la violence terroriste, la justifiant ou la glorifiant.

Pire, il affirme qu’un simple partage ou un «j’aime» d’un contenu sur les réseaux sociaux est un indice concret qui justifie le recours à une mesure de police.

Le Conseil fédéral admet lui-même dans son message qu’évaluer la probabilité de la commission d’une infraction est toujours entaché d’incertitudes.

À ses yeux, le risque de dérives et d’abus est donc admissible au nom de la lutte contre le terrorisme.