Les écarts se creusent

de: Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics

En Suisse aussi, la pandémie a exacerbé les inégalités, souligne une étude du KOF. Les plus bas revenus ont subi une perte de revenu moyenne de 20%, tandis que les plus aisés s’en sortent bien.

Photo Eric Roset

Selon une étude du KOF, le centre de recherches conjoncturelles de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, les membres de ménages à très bas revenu ont subi une forte baisse de leur budget – 20% en moyenne – depuis le début de la pandémie [1]. En revanche, les foyers aisés ont souvent pu augmenter leur bais de laine.

L’impact du chômage

En décembre dernier, la Suisse comptait 54 000 chômeurs-euses de plus que l’année précédente [2]. La courbe du chômage partiel a aussi fait un bond. Conséquence: le revenu de centaines de milliers de salarié-e-s a reculé.

Selon le KOF, la crise de l’emploi a touché les bas revenus avec le plus de virulence. Un tiers des personnes issues de ménages touchant moins de 4000 francs mensuels nets et disposant d’un emploi avant la crise se sont retrouvées au chômage (8%) ou en RHT (25%) au cours de la pandémie – contre 14% pour les catégories de revenu supérieures à 16'000 francs.

«Double peine» pour les précaires

Souvent frappés par le chômage, les très bas revenus y perdent aussi plus de plumes. En moyenne, leur revenu plonge de 50% après la perte du job. L’étude du KOF avance deux raisons à ce phénomène: une partie de ces salarié-e-sont exclu-e-s de l’assurance chômage, car ils ont perdu un emploi annexe ou travaillaient dans des conditions précaires; d’autres voient la part variable de leur revenu, par exemple les pourboires, non prise en charge par l’assurance. Rappelons que le secteur de l’hôtellerie-restauration affichait le taux de chômage (9,3%) le plus élevé en décembre 2020 [3].

On retrouve le même mécanisme pour le chômage partiel. Alors que la baisse de revenu est, en moyenne, de 20% pour les employé-e-s en RHT, les plus bas revenus y perdent près de 30%.

La crise sanitaire et économique a freiné les revenus, mais aussi les dépenses. Avec des motifs qui peuvent varier selon la position sociale. D’un côté, plus d’un tiers des ménages gagnant plus de 16 000 francs mensuels ont réduit leur train de vie par manque d'occasions de consommer. De l’autre, plus de 20% des ménages ayant un revenu inférieur à 4 000 francs ont mis un frein à leurs dépenses parce qu'ils avaient moins d'argent disponible ou en raison de perspectives incertaines.

Inégalités à la hausse

Pour 47% des personnes vivant dans des foyers touchant un revenu inférieur à 4000 francs (31% de celles touchant des revenus entre 4000 et 6000 francs) ont vu leur épargne diminuer. Une bonne part (40%) d’entre elles ont dû puiser dans leurs économies pour couvrir leurs dépenses courantes. Et une personne sur neuf a même dû s’endetter pour faire face à la crise. Comme le résume la chercheuse Isabel Martinez, qui a participé à l’étude, le filet social actuel n’est pas suffisant pour les plus bas revenus [4].

Pour les classes de revenu les plus élevées, le tableau est autre. Seule une petite minorité (11%) a vu ses économies reculer, tandis que 50% d’entre eux-elles ont pu, au contraire, augmenter leur bas de laine.

Conséquences durables

La pandémie creuse l’écart entre les revenus, conclut l’enquête du KOF. Tout indique qu’elle accentuera en parallèle les inégalités de fortune, déjà très élevées en Suisse. Les chercheurs du KOF alertent aussi sur les conséquences à plus long terme de cette évolution, notamment en matière de baisses des retraites.

Un constat qui fait écho au nouveau cri d’alarme lancé par l’œuvre d’entraide Caritas le 23 février. «Les conséquences sociales de la crise du coronavirus sont loin d'être terminées. La situation continue à se détériorer (…) Les personnes touchées ont de moins en moins de perspectives, et le taux de chômage approche un niveau record».

[1] KOF : Korona und Ungleichheit in der Schweiz. Février 2021.

[2] OFS: ESPA 2020, quatrième trimestre. 18 février 2021.

[3] Seco: chiffres du chômage en Suisse. Décembre 2020.

[4] Le Temps, 23 février 2021.


En 2019, déjà 735 000 pauvres

L’accroissement de la précarité en Suisse était déjà une réalité avant l’éclatement de la pandémie, a rappelé l’OFS au mois de février .

En 2019, 8,7% de la population helvétique, soit environ 735 000 personnes, vivaient au-dessous du seuil de pauvreté. Il s’agit du taux le plus élevé depuis 2014 (6,7%). Durant cette période, le revenu disponible équivalent (calculé en déduisant les dépenses obligatoires du revenu brut d’un ménage, tout en tenant compte de la taille de ce dernier) des 10% les plus précaires a reculé de manière significative. Il se situait à 25 868 francs, contre 27 252 francs en 2014. L’OFS comptait 155 000 travailleurs-euses pauvres.

Le seuil de pauvreté pris comme référence par l’OFS se base sur les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale. Il se situe à 2279 francs par mois en moyenne pour une personne seule, et à 3976 francs par mois pour deux adultes et deux enfants. Les personnes de nationalité étrangère, vivant dans des ménages monoparentaux, sans formation postobligatoire ainsi que les ménages exclus du marché du travail sont le plus souvent touchées par ce phénomène.

La précarité était aussi bien installée en 2019. Selon l’OFS, les 12,2% de la population avaient des difficultés à joindre les deux bouts; 20,7% n’étaient pas en mesure de faire face à une dépense imprévue de 2500 francs en l’espace d’un mois; et 15,1% comptaient au moins un arriéré de paiement.